Verticalisation et apprentissage posturolocomoteur chez les patients cérébrolésés droits et gauches.
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Le texte complet
Approche comparative de la fonction posturolocomotrice chez les patients cérébrolésés droits et gauches.
Sommaire.
Document 1 : Verticalisation précoce des hémiplégiques, incidence de la latéralité lésionnelle (aller à $1).
Document 2 : LA MARCHE DES hémiplégiques , aspects différentiels liés aux côtés de la lésion (aller à $2).
Document 3 : Différences de stratégie d'apprentissage des hémiplégiques selon le côté de la lésion cérébrale (aller à $3).
Document 4 : Différences et symétries dans le comportement posturolocomoteur des cérébrolésés droits et gauches (aller à $4).
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Verticalisation précoce des hémiplégiques, incidence de la latéralité lésionnelle.
Exposé donné à BRUXELLE dans le cadre de la réunion du GERNA. A.ALBERT.
Kinésithérapie de certaines anomalies du comportement postural liées à la latéralisation lésionnelle.
1) Troubles de la fonction d'appui sur le membre parétique.
La verticalisation précoce des hémiplégiques permet d'observer, pour des troubles moteurs grossièrement semblables, des anomalies du comportement de transfert de charge d'un pied sur l'autre très différentes selon le côté de la lésion.
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a) Esquive de l'appui chez les cérébrolésés gauches.
En station debout, le patient transfert toute la charge de son corps sur le membre inférieur sain, bien que la sollicitation de réactions posturales automatiques prouvent des capacités d'appui au moins partiel au niveau du membre parétique.
On peut interpréter cette anomalie posturale en termes d'expression métrique exagérée d'un mécanisme normal d'anticipation posturale, chez un patient qui ne connait pas les contours exacts de son handicap, et qui manque d'expérience dans cette situation instable.
b) Effondrement à l'appui chez les cérébrolésés droits.
En station debout, le patient "accepte" impulsivement l'ordre de soulever le pied sain du sol et de confier tout le poids de son corps au membre parétique, , alors qu'il existe à ce niveau un déficit important des extenseurs, qui rend impossible la préservation de la posture en appui unilatéral.
Le patient chute alors verticalement par flexion du genou : c’est l’effondrement.
On peut interpréter cette anomalie posturale en termes d'héminégligence, (voir plus loin), ou plutôt de dissociation posturo-gestuelle , terme qui traduit la tendance impulsive de ces patients à exécuter des gestes posturalement interdits, y compris au niveau de l'hémicorps droit non parétique. Note AA : Les patients cérébrolésés droits qui présentent une forte négligence de l’hémi-espace et de l’hémicorps gauche ne présentent pas simplement une sous-utilisation et une sous-attention au niveau des membres parétiques : en station debout, leur hémicorps droit non parétique « néglige » aussi, en quelque sorte, les informations sensorielles générées à leur niveau par la défaillance motrice des membres gauches parétiques ; par exemple, la main droite cramponnée à une barre d’appui qui assure à elle seule la prévention de la chute à gauche chez un patient en station debout pourrait en principe suffire à générer des informations tactiles et proprioceptives (doigts crispés sur la barre, mise en traction du bras)capables d’alerter le cerveau du patient sur l’importance stratégique du maintient de cette prise énergique ; or, nous savons qu’il n’en est rien, puisque le patient « accepte » naïvement de lâcher la barre sur ordre, ou pour se frotter le nez.
2) Mais le problème de la station debout ne se limite pas à des déficits moteurs du membre inférieur parétique éventuellement compliqué par des anomalies plus globales du comportement postural:
Il existe souvent aussi, en phase précoce, un trouble du tonus postural affectant notamment le membre inférieur non parétique, et compromettant la station debout.
a) Une déviation rigide du membre inférieur droit chez les cérébrolésés droits.
Chez certains cérébrolésés droits récents, placés en station debout avec aide manuelle à la barre, le membre inférieur sain, assurant l'appui au sol, présente une rigidité posturale avec déviation axiale vers l'hémicorps parétique et en arrière, qui place le bassin en porte à faux dans une position incompatible avec la station debout sans agrippement manuelle.
b) Une déviation rigide du membre inférieur gauche.
Chez les patients cérébrolésés gauches récents, la déviation rigide du membre inférieur sain, en station debout, est relativement plus rare, et lorsqu'elle est présente, elle est moins accentuée, et plus facilement surmontée que chez les cérébrolésés droits.
On peut interpréter ces comportements rigides comme des déviations asymétriques d'une stratégie "normale" (comportement adaptatif novice), de stabilisation géométrique de la position relative de plusieurs segments du corps, en réponse à une tâche nouvelle exécutée en situation d'équilibre instable.
3) Enfin, le problème de la station debout est lié, dans de nombreux cas, à des troubles qui ne sont pas aussi clairement moteurs, tells que les dérives lente, et les comportements négligents.
a) La dérive posturale lente.
Placé debout sans aide manuelle, le patient peut conserver une posture globalement stable durant quelques secondes.
Mais à mesure que le temps passe, il s'incline très lentement, jusqu'à la chute, dans une direction toujours identique, sans manifester aucune émotion, et sans ébaucher aucun geste de protection.
b) L'héminégligence gauche et son contexte.
Certains patients cérébrolésés droits, ne prennent pas en compte les perturbations ou les stimuli qui leur parviennent de l'hémicorps parétique ou de l'hémi-espace correspondant, et n'orientent pas activement leur regard ou leur main dans cette direction.
Dans les cas graves, il n'y a pas seulement négligence pratique d'un hémi espace, mais perte de la référence spatiale des actions: bien qu'une perturbation ait lieu dans l'espace corporel gauche, le patient n'investigue pas dans cette direction. , comme s'il négligeait aussi le retentissement de cette perturbation au niveau de l'hémicorps droit (Test du pied gauche accroché (incident qui n'est pas "pris en charge" par une compensation de l'hémicorps droit), et effondrement à l'appui gauche).
Le test de l’accrochage du pied est très simple : au cours d’une marche guidée par le kiné, le pied parétique du patient est brusquement bloqué dès le début de la phase d’oscillation par un croc en jambe, ce qui perturbe fortement l’oscillation du membre et le déplacement en avant du corps ; le kiné est placé derrière le patient, et le sécurise discrètement par un maintien à la ceinture, tandis qu’un aide placé face au patient observe ses réactions, crispation du visage, orientation du regard en bas et du côté du pied accroché, arrêt de la progression, etc., ou au contraire méconnaissance apparente de la perturbation, poursuite de la marche, redoublement du pas au niveau du membre inférieur non parétique laissé libre, etc.. b) L'héminégligence droite et son contexte.
Bien que l'héminégligence droite (chez les cérébrolésés gauches)se présente parfois comme très profonde, il est important d'individualiser ce trouble par opposition à l'héminégligence gauche, plus fréquente et plus durable, observée chez les cérébrolésés droits.
S'il existe d'importantes erreurs métriques dans les actions intéressant le champ droit, il ne semble pas qu'il y ait une détérioration de la référence spatiale des actions: en cas de perturbation dans le champ droit, (accrochage du pied), le regard du patient s'oriente immédiatement dans cette direction, ce qui suggère que le retentissement sur l'hémicorps gauche de la perturbation de l'hémicorps droit, est bien ressenti comme provenant de l'hémicorps droit.
La différence essentielle entre négligence gauche et droite réside donc non pas tellement dans son entité, que dans le contexte des autres troubles qui s'y associent:
La négligence droite intervient dans le contexte d'une conservation de ce que j'appelle l'"habileté posturale", tandis que la négligence gauche s'aggrave de la très fréquente "dissociation posturo-gestuelle" des cérébrolésés droits.
Note AA : transcription très partielle de « cerveau droit, cerveau gauche à propos de l’héminégligence visuelle dont on peut facilement tirer un enseignement utile pour la compréhension de certains troubles de la marche des cérébrolésés tels que la négligence de l’accrochage du pied parétique et l’effondrement à l’appui du genou parétique : « ..début de
Pour conclure cette rapide revue, La station debout précoce est largement contrariée, chez les hémiplégiques, non pas par l'importance des troubles moteurs du membre inférieur parétique, mais par des anomalies posturales intéressant le corps entier, et notamment le membre inférieur dit "sain".
Il nous faut à présent esquisser un schéma d'action rééducative qui réponde spécifiquement à tous ces cas.
1). La verticalisation précoce.
A) Une option stratégique.
On peu penser que la verticalisation précoce accélère le processus "naturel" de restauration fonctionnelle de l'hémiparésie.
L'habileté du corps dans son ensemble va pouvoir être mise au service de la fonction de l'hémicorps parétique, pour optimiser sinon intégralement reconstruire l'activité posturogestuelle.
b) Une option qui n'exclut aucunement les artifices tactiques.
Il ne s'agira pas d'accorder toutes les vertus à la simple mise du patient en station debout durant des temps progressivement plus longs, mais d'essayer, le plus précocement possible, de l'aider à réaliser efficacement les transferts alternés de la charge sur chacun des pieds.
2). Une prise en compte de la neuropsychologie posturale. a) Intérêt de bilans précis.
b) Importance d'une analyse contextuelle, de chaque trouble en fonction du "côté de la lésion.
3). Parler le langage de l'hémisphère "restant", et lui poser des problèmes qu'il peut résoudre.
Quand je dis "parler", cela veut dire que le kiné doit essayer d'entrer dans le système du patient par les portes qui restent les mieux ouvertes, entrée verbale chez les cérébrolésés droits, entrée sensori-motrice et perceptive chez les cérébrolésés gauches.
a) Approche perceptuomotrice automatique , facilitation Bobath classique. .
**Exemple de l'esquive de l'appui, et de la facilitation posturale des extenseurs du membre inférieur chez les cérébrolésés gauches.
* Chez un patient cérébrolésé gauche récent, présentant la classique dissociation automatico volontaire, il peut être impossible d'obtenir un mouvement volontaire, sur ordre, même contre résistance-guidage manuelle, des extenseurs du membre parétique. Pourtant, chez un patient placé en station debout sans appui manuel, un déplacement provoqué rapide du bassin (mouvement produit brusquement par le kiné)vers le côté parétique peut entrainer une première contraction des extenseurs, et notamment du quadriceps.
Les limites de l'entrainement perceptuomoteur automatique sont bien connues: seuls seront "adoptés" par le patient aphasique les comportements moteurs ressentis subjectivement comme suffisamment efficaces au plan énergétique, du coût attentionnel et de la sécurité.
Les comportements moins compétitifs selon ces critères , bien qu'ils soient proposés comme corrects par le rééducateur seront "refusés"(instinctivement) par le cérébrolésé gauche, qui reste très peu sensibles aux "beaux discours et aux belles recommandations".
b) Approche verbomotrice, l'action sur ordre et l'orientation attentionnelle réhabilitée, approche Bobath revisitée.
**Exemple de l'effondrement à l'appui, de la dérive lente à gauche, et de la négligence gauche.
* Effondrement à l'appui: Citons le cas d'un patient qui présentait une dissociation posturo-gestuelle massive: Durant plus de 10 jours, le patient réalisait (en décubitus sur table)d'excellentes extensions du genou parétique, sur ordre, et contre résistance manuelle, alors qu'en station debout, à la barre, le soulèvement du pied droit s'accompagnait d'un effondrement du genou gauche, sans aucune contraction posturale du quadriceps.
L'extension en charge du membre inférieur ne fut obtenue que dans une activité de montée d'escalier initiée au niveau du membre parétique, main saine appuyée sur une table:
On demandait au patient, non pas de "réagir" à un brusque déséquilibre, mais d'"agir" dans une action finalisée intéressant spécifiquement le genou gauche: se hisser pour hausser le corps sur la marche d'escalier, effort accompagné d'un énergique encouragement verbal dosé et synchronisé avec l'effort.
=* Dérive posturale lente des cérébrolésés droits.
Approche verbomotrice de l'équilibration.
Il s'agit d'utiliser l'habileté verbomotrice volontaire du patient pour reconstituer un répertoire de réactions locomotrices, qui puissent ultérieurement s'automatiser.
Entrainement de l'équilibre en station debout sans appui manuel, à partir d'une recherche de locomotion dans toutes les direction. (le préalable est ici la remise au premier plan des ajustements locomoteurs dans toutes les directions, et notamment dans la direction de la dérive posturale)
Entraînement verbomoteur, marche sur ordre, avant, arrière, droite et gauche, en changeant constamment de direction.
Chaque pas doit être suivi d'une station debout immobile bien redressée.
b) Travail perceptuomoteur: après une séance de locomotion sur ordre, on explique au patient qu'à présent, on ne lui dira plus rien, mais qu'il devra marcher dans la direction utile pour ne pas chuter, lorsqu'on déplacera manuellement son tronc en avant, arrière, ou sur le côté.
On observe un contraste entre la bonne performance verbomotrice, et les échecs très fréquents dans l'épreuve perceptuomotrice. Pour ménager une transition entre les deux modes d'entrainement, on peut utiliser différentes facilitations:
a) L'information verbale peut orienter plus ou moins directement l'attention du patient(setting) vers la réponse pertinente, en réduisant le nombre des termes du choix.
b) On peut aussi utiliser des poussées manuelles d'abord très brusques (sur une très petite amplitude), puis plus lentes, afin de faciliter la "détection" par le patient de la direction du déplacement.
=* Héminégligence gauche.
L'approche rééducative consiste à substituer la programmation consciente et la mémoire verbale aux automatismes posturaux défaillants
a) Aménagement d'une tâche standardisée mettant l'héminégligence à l'épreuve.
On peut utiliser la tâche de transfert entre le fauteuil roulant et une chaise placée près d'un espalier, qui présente l'intérêt d'être utilitaire, et de comporter un grand nombre d'erreurs possibles.
b) Mémorisation verbalisée de la liste ordonnée des phases successives du transfert fauteuil-chaise, (détacher le bras de l’accoudoir, freiner, poser les pieds au sol, etc.).
c)retour quotidien à la situation standard, réexamen systématique de chaque erreur, décomposition de la tâche en éléments plus petits, ou, si le patient progresse, regroupement de plusieurs item.
d) Automatisation et globalisation de la tâche par répétition quotidienne.
e) Généralisation de l’apprentissage par transfert des précautions prises à des situations différentes.
La difficulté de cette approche vient souvent du fait que les patients parviennent assez bien à mémoriser une liste de précautions (habileté verbale et mnésique), mais réalisent mal l'opération de vérification pas à pas, (confrontation systématique entre ce qui doit être fait, ce qui a été fait, et ce qu'il reste à faire).
c) Approche factorielle du comportement.
manipulation analytique des déterminants d'une stratégie posturale.
=* Déviation rigide du membre inférieur sain.
L'approche rééducative vise un comportement postural global, impliquant essentiellement l'hémicorps non parétique: Il s'agit d'aider le patient à adopter une autre stratégie posturale, régulant la position du centre de gravité, et non, rigidement la position géométrique relative des segments du corps.
L'approche tente d'agir simultanément sur les multiples facteurs du comportement postural:
1) Supprimer les facteurs aggravant le trouble, comme l'agrippement manuel à une barre.
Plutôt que la suppression de tout appui manuel, qui angoisse le patient, Il est souvent très efficace de proposer un appui latéral du membre supérieur sain sur le mur , ou de la main saine sur le plateau d'une table disposée du côté sain; L'impossibilité de l'agrippement ouvre parfois directement la voie à la découverte par le patient de la station hanchée mobile sur le membre inférieur sain.
2) Créer des conditions mécaniques compatibles avec une autre stratégie:
a) Stabiliser le membre inférieur parétique dans une position d'extension du genou et d'abduction de la hanche, grossièrement symétrique de la position de déviation rigide du membre inférieur sain.
Cette stabilisation est assurée manuellement par le kiné, ou par une orthèse crurojambière.
3) Dégeler les principaux degrés de liberté de l'hémicorps sain, genou, hanche, tronc supérieur, épaules et tête:
a) Ce dégel de la rigidité anormale peut être obtenu dans le cadre d'une activité verbalement guidée(avec éventuellement l’usage de cibles transformant la tâche multiple en un simple rapprochement unidimensionnel de deux points, chez les cérébrolésés droits) , ("laissez vous mobiliser"), assistée par une mobilisation activopassive (manipulation par le kiné).
b) Recherche de l'appui du flanc, côté sain sur le mur, par flexion du genou et adduction de la hanche du côté non parétique, les deux points clé de la rigidité.
c) Agir sur les chevilles, par le placement des pieds sur des cales en pente se déversant du côté non parétique, ou par le port aux deux pieds de semelles prismatiques ayant le même sens de déversement.
A l'expérience, ce sont les patients qui présentent une dissociation posturo-gestuelle, (cérébrolésés droits), qui ont le plus de difficulté à abandonner leur stratégie de déviation rigide du membre inférieur sain.
En conclusion, la prise en compte de certains troubles posturaux qu'il faut bien appeler neuropsychologiques, est décisive pour que soit menée efficacement la verticalisation précoce des hémiplégiques.
C'est dans la période initiale que ces troubles sont les plus accentués, et que le déficit moteur à surmonter est le plus massif.
Toutefois, les avantages fonctionnels de la verticalisation précoce, sont tels qu'il vaut la peine d'affiner cette approche technique, dans une meilleure compréhension des modes spécifiques d'apprentissage de chaque patient, notion que les approches neuromusculaires classiques n'avaient pas suffisamment mis en valeur.
Relu le jeudi 17 mai 2007.
Fin du document 1.
$2
LA MARCHE DES hémiplégiques , aspects différentiels liés aux côtés de la lésion.
André ALBERT, MARSEILLE 1990.
Le comportement de marche peut être affecté par une très grande variété de symptômes présentés par l'hémiplégique. Nous ne tenterons pas ici de décrire ni d'analyser les effets sur la marche des différentes intrications d troubles liés à la lésion cérébrale unilatérale, qu'ils soient orthopédiques et trophiques, touchant le tonus et les réflexes, l'activité gestuelle et posturale, la sensibilité somatique, les fonctions visuelles, les activité psycho-sensorielles, psychomotrices, la sphère émotionnelle et affective.
Une telle étude serait certes passionnante, mais supposerait un travail pluridisciplinaire dans lequel, à l'évidence, le thérapeute que je sui ne pourrait s'en sortir tout seul...
Devant l'obligation de bien délimiter mon propos, je voudrais plutôt aborder un aspect du problème qui n'a pas toujours été au centre des préoccupations des rééducateurs durant les 25 dernières années. Et ce faisant je pourrai pour le moins remettre en question mes écrits antérieurs, où l'on ne trouve pratiquement aucune information sur les aspects différentiels de la marche liés au côté de la lésion.
L'existence d'une dominance de chaque hémisphère pour le contrôle des fonctions supérieures, a une incidence sur les difficultés de marche de l’hémiplégiques. Cette incidence est cependant difficile à mettre en évidence si l’on constitue simplement deux groupes de patients selon le côté de leur lésion sans tenir compte de la durée de l'expérience post-lésionnelle et en incluant dans l'étude les cas de lésions épargnant presque totalement le cortex. C'est donc en tenant compte de cet écueil que nous tenterons ce difficile exercice.
Ce schéma n'est pas présenté sous forme de tableau, afin de pouvoir conserver les "parfois"/souvent"/généralement" ,et autres atténuations qui son! de règle dans un domaine aussi polymorphe.
Si l'on fait abstraction de tous les traits communs a la marche des hémiplégiques, et si l'on caricature au contraire les traits plus spécifiques rencontrés dans les premières semaines chez les hémiplégiques droits ou gauches, on peut faire les remarques suivantes:
La vitesse moyenne de marche adoptée spontanément par l'hémiplégique droit parait assez bien corrélée à ses difficultés; le patient parait toujours adopter une vitesse inférieure ou égale mais jamais supérieure à ses possibilités motrices.
La vitesse de marche de l'hémiplégique gauche nous apparaît fréquemment nettement supérieure à ses possibilités de contrôle.
L'hémiplégique droit se déplace en avant de manière discontinue, avec une courte phase d'arrêt total en double appui, pied droit en avant.
L'hémiplégique gauche adopte souvent une vitesse de progression relativement uniforme sur quelques pas, mais avec des arrêts et de fréquents changements d'allure.
Chez l'hémiplégique droit, la trajectoire du centre de gravité est relativement linéaire, alors que l'hémiplégique gauche présente davantage de déviations dans les trois plans de l'espace.
L'hémiplégique droit organise bien son trajet par rapport à l'espace disponible; il repère de loin les obstacles et infléchit précocement sa trajectoire. Chez l'hémiplégique gauche, au contraire, les corrections de trajectoire sont tardives ou même absentes, avec accrochage des obstacles par l'hémicorps gauche (on observait aussi chez le patient azru, dans un labyrinthe parcouru sur papier , un manque de freinage pertinent : mauvais dosage de la vitesse du crayon au moment d’un virage).
Dans un parcours sans obstacle, la séquence de marche d'un hémiplégique droit demeure généralement immuable et répétitive, évoquant parfois celle d'un automate. La séquence de marche de l'hémiplégique gauche est beaucoup plus variable d'un pas sur l'autre avec de plus nombreux incidents de parcours.
La marche de l'hémiplégique droit est souvent remarquablement sûre, alors que la marche de l'hémiplégique gauche est souvent imprévisible, précaire et très proche des frontières de la chute.
La séquence de marche adoptée par l'hémiplégique droit parait en général difficilement modifiable par des directives ou des signaux du thérapeute(la longueur du pas antérieur gauche est cependant très facilement modifiable avec la technique de la canne « obstacle », cf. la marche du patient LEBSY. L'hémiplégique gauche peut plus facilement modifier à volonté l'un ou l'autre des paramètres de sa marche.
L'hémiplégique droit conserve toujours sa maîtrise posturale globale de marche lorsqu'il parvient à modifier un aspect de sa séquence de marche, longueur du pas antérieur gauche par exemple; mais après quelques cycles, il retourne graduellement a sa séquence spontanée, avec raccourcissement important du pas antérieur gauche.
L'hémiplégique gauche modifie souvent un seul paramètre de marche sans adapter l'ensemble de la séquence a cet élément nouveau. Par exemple, la directive: «faites un grand pas du pied droit", se traduit par une enjambée trop ample ou trop brusque qui entraine une chute à gauche.
Dans un trajet comportant une descente d'escalier, l'hémiplégique droit ralentit, s’arrête, et parfois refuse de descendre, alors que l'hémiplégique gauche aborde ce changement du terrain sans aucun ralentissement d'allure ( cf. notion de déficit de freinage) .
Chez l'hémiplégique droit, le cycle bilatéral alterné peut s'interrompre. La progression en avant ou le freinage sont alors réalisés par une série de petits sauts à cloche-pied sur le membre inférieur sain, avec suppression totale des phases d'appui et d'oscillation du membre inférieur lésé qui reste souvent en-avant et en abduction. Durant cette marche à cloche-pied, l'appui se fait uniquement sur l'avant-pied sain, talon décollé.
Tout se passe comme si l'hémiplégique droit privilégiait systématiquement l'équilibration statique sur le membre inférieur sain, au
détriment de là progression du corps en avant et de l'appui sur le membre lésé
Chez l'hémiplégique gauche, le cycle bilatéral alterné peut aussi s'interrompre. Dans ce cas, la progression en avant se réalise par une série de deux ou trois oscillations antérieures talonnantes du membre inférieur sain, le membre inférieur lésé, passif, restant à la traîne. Cette "fuite en avant se termine généralement par la chute.
L'hémiplégique gauche semble ainsi "préférer" poursuivre la marche coûte que coûte, plutôt que d'assurer la sécurité de sa situation verticale.
Au plan émotionnel, l'hémiplégique droit, lorsqu'il marche, parait concentré mais paisible et parfois même allègre, mais des bouffées d'émotion ou d'inquiétude apparaissent parallèlement à chaque incident du parcours.
L'hémiplégique gauche n'est pas toujours jovial et bavard au cours de la marche; il est souvent aussi mal à l'aise et même terrorisé. Cependant, ce qui frappe, c'est le découplage (non synchronisation) fréquent entre son état émotionnel et l'état de danger objectif où se trouve son corps à certaines phases de la séquence ou lorsqu'il amorce une chute.
Après ces observations générales sur la séquence de marche, nous tenterons d'entrer un peu dans le détail des attitudes et mouvements des membres inférieurs, tout en restant conscient du caractère très schématique de ces descriptions.
Durant la phase d'appui sur le membre inférieur sain, l'hémiplégique gauche peut présenter pendant plusieurs semaines le signe de "la déviation rigide du membre inférieur sain": pied droit placé trop en dehors par rapport à la ligne médiane, hanche droite en abduction, la ligne joignant le pied droit à l'épaule droite demeurant toujours oblique en haut à gauche et un peu en arrière.
Chez l'hémiplégique droit, la déviation rigide du membre inférieur sain disparait généralement en quelques jours, l'appui sur le membre inférieur sain se réalisant presque normalement en station hanchée, pied gauche proche de la ligne médiane, hanche gauche en adduction, tronc dans la position prise par le sujet normal réalisant un appui unipodal gauche.
Durant la phase d'appui du membre inférieur lésé, l’hémiplégique gauche approche et souvent franchit la frontière de la chute à gauche. Le pied gauche est trop près de la ligne médiane, le genou souvent trop fléchi et à la limite de l’effondrement, la hanche est en adduction. Il y a bascule du bassin et inclinaison du tronc à droite sans boiterie inverse de l'épaule gauche (Signe de TRENDELENBOURG).
Au même point de la séquence, l’hémiplégique droit se présente souvent dans une position de fente antérolatérale, pied droit en avant; la mise en charge du pied droit est souvent très partielle, très brève, avec brusque recurvatum du genou , petite salutation du tronc, bascule du bassin à gauche et boiterie inverse de l'épaule droite: signe de DUCHENNE ).
A la phase d'oscillation du membre inférieur lésé, l’hémiplégique gauche avance le membre sans fauchage marqué, avec frottement du pied au sol qui reste proche de la ligne médiane, venant même parfois croiser cette ligne en fin de course après avoir accroché le pied droit en appui.
Dans la même situation, l'hémiplégique droit réalise fréquemment le classique fauchage, le pied droit s'écarte de la ligne médiane, grâce à un mouvement démarré souvent par une abduction, ²rotation interne et extension de la hanche gauche.
L'amplitude et la vitesse des pas sont souvent très variables chez l'hémiplégique gauche, alors que l'hémiplégique droit présente la classique marche à demi- pas qui se réduit à une oscillation antérieure du membre inférieur lésé, suivie de l'oscillation postérieure du membre inférieur sain. Les oscillations sont brèves, courtes, surtout celles du membre inférieur sain, la phase de double appui qui suit l'attaque du pied sain au sol étant allongée dans le temps. Dans certains cas extrêmes, le patient semble fixé dans une attitude de fente antérolatérale, pied droit en avant, et progresse par de très courtes saccades de chaque pied avec une étonnante régularité.
DISCUSSION
La description schématique que nous venons d'esquisser paraîtra sans doute insuffisante. Il conviendrait, bien entendu, de dépasser cette observation de la "marche de couloir" pour décrire la déambulation plus largement: marches pluridirectionnelles et en terrains variés, adaptation au mobilier domestique, marche en ville, dans l'obscurité, dans le bruit, dans la foule.
C'est sans doute l'ergothérapeute qui est ici en première ligne.
Notre description devrait aussi être complétée par l'observation différentielle de la dynamique du pied "sain", la position du genou, l'action des membres supérieurs avec ou sans appui manuel, les positions de la tête, l'activité du regard, l'expression du visage, les émissions vocales enfin, qu'elles soient verbales ou non verbales, ainsi que les commentaires recueillis de la part du patient, qui fournissent parfois des aperçus très éclairants sur ses stratégies personnelles .
Il serait très instructif de corréler l'observation de la marche avec l'exploration d'autres secteurs d'activités tels que les AVJ, le dessin, la distribution spatio-temporelle de l'attention, les stratégies constructives, l'élaboration des habiletés motrices, la latéralisation et, bien entendu, le langage.
En l'absence de ce type d'étude approfondie de l'incidence des troubles neuropsychologiques sur la marche et son réapprentissage, les schémas que nous proposons doivent être utilisés avec prudence:
Chercher à tout prix à faire entrer tous les patients que nous avons en charge dans des cadres rigides, ne pourrait que nous faire perdre l'occasion d'atteindre, chez chacun d'eux, des caractéristiques plus singulières qui doivent aussi nous guider dans nos stratégies rééducatives. L'erreur inverse serait aussi, sans doute, de nier totalement que ces modèles soient une approche pertinente de la réalité, en arguant du grand nombre d'exceptions rencontrées sur le terrain.
Notons tout d'abord qu'un même comportement de surface peut être sous-tendu par des "handicaps primaires" bien différents:
La marche à demi-pas dans laquelle l'oscillation antérieure du membre sain est totalement absente peut légitimement être mise en rapport avec des troubles aussi variés que :
- le pied équin orthopédique
- la spasticité des muscles fléchisseurs plantaires de la cheville
- le flexum orthopédique de la hanche
- la neuro-algodystrophie du pied
- le déficit de contraction du moyen fessier
- le déficit de force de la synergie d'extension du membre inférieur etc...
Cette rapide énumération démontre à l'évidence la complexité de l'évaluation interprétative des troubles de la marche que nous "observons".
Tel hémiplégique gauche présente parfois une marche proche de celle que nous avons décrite pour l'hémiplégique droit, avec ses demi- pas rapides et son esquive de l'appui. Ce patient garde néanmoins une démarche plus facilement modifiable et moins mécanique que celle des hémiplégiques droits.
Tel hémiplégique droit présentant une hémianopsie et une hémianesthésie majeure de l'hémicorps droit peut accrocher les obstacles à droite et laisser traîner son pied derrière lui. Toutefois ce patient, bien que présentant un comportement de surface évoquant l'hémi-négligence, n'en récupère pas moins rapidement la station hanchée sur le membre inférieur sain.
Dans le même ordre d'idée, on remarque des différences de démarche beaucoup moins importantes entre les hémiplégiques droits et gauches lorsqu'il s'agit de lésions basses, capsulaires par exemple, que lorsqu'il s'agit de lésions intéressant le cortex.
En somme, la distinction que nous avons tenté de faire, représente, à l'évidence, une simplification massive du problème. Il est, bien entendu, nécessaire, et cela n'est pas toujours facile dans la pratique quotidienne, de faire la part de la lésion, de son niveau, de sa taille, considérer la date de l'examen par rapport au début de l'hémiplégie, tenir compte du contenu de l'expérience acquise par le patient durant les apprentissages préparatoires à la marche, de la présence de consignes qu'on propose au patient ou qu'il se donne à lui-même au cours de l'examen etc...
Il conviendrait enfin, de ne pas se borner à reconnaître globalement des types de démarches, un peu comme on reconnaît un visage. L'appréciation de l'amélioration, dans le temps, de la marche des hémiplégiques ne peut guère se faire objectivement que par une approche instrumentale, c'est-à-dire par des mesures précises de certains paramètres caractéristiques, tels que les angulations articulaires,les durées d'appui au sol etc...
Quant à l'intervention rééducative mise en jeu, nous dirons seulement qu'elle implique toujours une interprétation des troubles de la marche.
L'expérience commune montre que de nombreux hémiplégiques parviennent progressivement à optimiser une boiterie relativement économique, compte tenu de leur handicap sensori-moteur. Mais le style de cette optimisation porte toujours la marque du mode opératoire propre aux structures cérébrales épargnées par la lésion.
A côté des troubles orthopédiques, notamment de la cheville, dont l'incidence est très importante sur le rendement de la marche, (les résultats spectaculaires de la chirurgie des tendons et des nerfs le confirment), il est indéniable qu'un échec total ou partiel de la rééducation de la marche est rarement lié, chez l'hémiplégique adulte, aux désordres affectant le tonus et les mouvements, que la rééducation neuromusculaire plaçait au premier plan.
En pratique, nous butons souvent:
-tantôt sur la séquence de marche hyper-automatisée et quasi non modifiable de l'hémiplégique droit. C'est un échec relatif, car cette marche
très déformée est peu économique mais très sure et donc fonctionnelle, pour des déplacements autonomes sur courte distance.
-tantôt sur la démarche dangereuse et inconséquente de certains hémiplégiques gauches. Ces troubles peuvent retarder de plusieurs mois l'acquisition d'une marche autonome, sans toutefois être insurmontables, du moins chez les patients relativement jeunes. Chez les personnes âgées, par contre, ces troubles neuro- psychologiques conduisent parfois à l'échec total, la marche autonome étant pratiquement interdite pour raison de sécurité.
Il nous faudra sans doute mettre au point des techniques plus fines et plus cohérentes, si nous voulons réduire progressivement le nombre de ces échecs, et rendre nos séances de rééducation plus efficaces et moins stressantes pour les patients.
Fin du texte : LA MARCHE DES hémiplégiques , aspects différentiels liés aux côtés de la lésion.
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Différences de stratégie d'apprentissage des hémiplégiques selon le côté de la lésion cérébrale.
MARSEILLE 25 octobre 1996
distinguer trois aspects:
1). La voie d'entrée (entrée des informations vers le patient). 2). Le processus interne (du phénomène d'apprentissage).
3). Les contenus-de l'apprentissage).
parallèlement, ouvrir des fenêtres de commentaire pour justifier ce découpage en trois, indiquer notamment les nuances concernant les différences d'entrée, l'entrée non verbale n'est pas absolue, puisqu'on introduit l'approche prosodique chez les aphasiques, et l'approche spatiale unidimensionnelle chez les lésés droits-stimulation visuelle unidimensionnelle simple ou par orthèse de contrôle du tronc). Pour le point 2, processus, bien indiquer qu'il s'agit d'une hypothèse, et que le processus intime est largement inconnu: on propose ici des schémas très simples, à valider ultérieurement.
Enfin, pour les contenus, indiquer à la fois:
a). Les similitudes de contenu, puisque le système moteur de chaque patient, et les tâches qu'il doit résoudre dans la vie quotidienne sont identiques, quelle que soit la latéralité de la lésion( Locomotion, station debout, indépendance fonctionnelle dans les activités quotidiennes.)
Mais, :
b). Les différences, puisque les problèmes moteurs posés aux patients sont très différents selon la latéralité de la lésion, problèmes idéomoteurs et de paramétrage volontaire des mouvements des cérébrolésés gauches, Problèmes posturogestuels et de sécurité chez les cérébrolésés droits.
Parallèlement, ouvrir un commentaire sur le thème de la pertinence de la comparaison entre lésés droits et gauches. Dans quelles limites, et de quelle manière il peut être pertinent de comparer deux patients, lésés l'un à droite, et l'autre à gauche?
Pour que la comparaison soit pertinente, il faut que ces deux patients soit très similaires, sauf sur le facteur côté de la lésion:
lésion récente ou tardive, lésion corticale ou autre, lésion grande ou petite, patient sénile ou non, intelligent ou non, motivé ou non, compétent ou naïf, etc. Enfin, leur poser exactement le même problème sensorimoteur. Noter que les patients cérébrolésés auront d'autant plus de chance d'être différents qu'ils subiront une lésion importante, corticale, récente, et qu'ils pourront être considérés comme naïfs, (relativement peu modifiés par l'apport rééducatif, ou n'ayant pas encore développé de stratégies de compensation).
Pourquoi les patients lésés corticaux?
Parce que c'est surtout au niveau cortical que se trouvent les localisation non symétriques, phénomène de dominance hémisphérique pour telle ou telle système fonctionnel). Pourquoi de grandes lésions?
Parce que les petites lésions peuvent éventuellement permettre à un hémisphère de compenser rapidement le trouble neuropsychologique initial, ce qui va donc atténuer rapidement les différences.
Au contraire, une grosse lésion va entraîner une sidération plus prolongée de tout l'hémisphère lésé, avec compensation massive par l'autre hémisphère, avec, dans ce cas, une différence spectaculaire de comportement sensorimoteur et neuropsychologique.
Pourquoi lésions récentes?
Parce que les problèmes fonctionnels étudiés, marche et locomotion, requièrent une participation importante du système nerveux central et des fonctions cognitives dans la phase initiale où les actions sont lentes, et où les actions doivent se dérouler pas à pas avec un coût computationnel, attentionnel et émotionnel important.
Au contraire, chez les lésés plus anciens, rééduqués, etc., les activités posturo-locomotrices s'effectuent rapidement, et bénéficient alors de la mise en jeu des forces "non-musculaires", énergie cinétique des segments de membre, ce qui réduit en grande partie le rôle du cerveau, et valorise le rôle des structures anatomiques musculo-squelettiques et cérébrales sous-corticales, qui sont à l'évidence pratiquement symétriques ou quasiment symétriques, avec, comme conséquence, une propension à moyen terme ,à la similitude des comportements moteurs.
Fin du document 3 : Différences de stratégie d'apprentissage des hémiplégiques selon le côté de la lésion cérébrale.
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Différences et symétries dans le comportement posturolocomoteur des cérébrolésés droits et gauches.
µµ
µµµCe ²commentaire a pour point de départ la note -139- de l’histoire du patient AZRU , datée du 12 dec 1990, où j’indiquais: » On cherche à voir s'il serait possible que le patient »décide de stopper » dès qu'il « sent « que son pied gauche commence à traîner au sol (ce qu'il perçoit très bien, mais sans en tirer les « conséquences pour la survie »)».
Avant de rendre compte de la logique de cette intention thérapeutique, il parait utile de tenter d’expliquer pourquoi et comment certains patients hémiplégiques présentent un dangereux frottement du pied au sol durant l’oscillation du membre parétique et pourquoi d’autres, à déficit moteur comparable, ne présentent aucun frottement du pied, ou seulement un frottement discret qui ne perturbe pas leur sécurité.
La réponse à ces questions nous conduira à prendre en considération, pour chaque patient, l’incidence de la latéralité lésionnelle sur sa formes particulière de boiterie ; elle nous conduira aussi à montrer que malgré une lésion cérébrale unilatérale, le patient peut avoir conservé, grâce à certaines régions cérébrales non directement lésées, des voies d’accès rendant possibles une modification thérapeutique de son comportement posturolocomoteur.
Lorsqu’on étudie le comportement de marche de monsieur AZRU, on est étonné de ne pas y retrouver les signes d’une conduite adaptative dans lequel les déficits moteurs de l’hémicorps parétique soient au moins partiellement compensés par un surcroît d’activité de l’hémicorps non parétique.
On n’observe pas chez lui certaines figures familières de la boiterie hémiplégique telles que
le fauchage du membre inférieur parétique,
l’esquive partielle de l’appui sur le membre parétique,
le report du tronc supérieur vers le côté parétique (signe de DUCHENNE de BOULOGNE),
la restriction spatiale et temporelle de l’oscillation du membre non parétique,
le ralentissement ou l’arrêt de la progression durant le double appui qui suit l’attaque du talon non parétique, etc.
En 1958, PESZCZYNSKI a rassemblé des observations qui peuvent utilement alimenter la réflexion clinique sur ce type de problème; il a remarqué que les anomalies élémentaires de la démarche des hémiplégiques qu’il observait dans le cadre de sa pratique ne se produisaient pas indépendamment les unes des autres, mais étaient très souvent liées dans un schème étroitement structuré et clairement identifiable qu’il appelait la « marche intermittente à demi-pas«.
Le regroupement en une seule figure de tous les traits du comportement locomoteur des hémiplégiques avait l’intérêt de nous affranchir de la grille de lecture analytiques à travers laquelle on classait assez arbitrairement les multiples anomalies du cycle de marche.
La mise en valeur d’une boiterie unique avait toutefois l’inconvénient de ne pas faciliter l’interprétation de certaines de ces anomalies, moins fréquentes, dont on pouvait pourtant soupçonner l’importance, mais qui étaient gommées du tableau, ou au mieux décrites au titre d’exception à la règle.
On peut penser que la valorisation du concept d’un unique schème d’altération du cycle de marche des hémiplégiques, a été favorisée par le caractère stéréotypé de cette boiterie, ainsi d’ailleurs que par ses remarquables qualités en matière de sécurité des déplacements, d’économie d’énergie , et d’allégement de la charge computationnelle, les patients dont la boiterie ne présentait pas simultanément tous ces avantages adaptatifs ayant simplement moins de chance d’être vu marcher sans aide ni protection.
Lorsqu’elle est adoptée par un hémiplégique, la marche intermittente à demi pas présente en effet l’avantage biologique décisif de sécuriser très efficacement les déplacements du patient et de permettre du même coup une récupération précoce de son autonomie à la marche.
Elle prévient tout excès cumulatif de la vitesse de progression, en imposant, à chaque cycle, une alternance régulière d’arrêt et de relance du déplacement qui s’effectue sous le contrôle prépondérant du membre inférieur non parétique.
De plus, en enchaînant seulement des demi pas,(une oscillation postérieure du membre non parétique suivie d’une oscillation antérieure du membre parétique), cette stratégie referme presque totalement l’angle de la fente antérolatérale du double appui qui suit l’attaque du talon non parétique .
Cette réduction à 50 pour cent du pas du membre non parétique qui arrête le pied non parétique à la hauteur du pied parétique amène le bassin à son altitude maximum, dans une configuration qui paraît préparer la phase suivante du cycle où l’oscillation antérieure du membre parétique va pouvoir s’effectuer confortablement sans fauchage ni frottement du pied au sol.
On peut de plus observer que cette démarche apparaît chez les patients très tôt après la lésion cérébrale, dès leurs premiers essais locomoteurs, et se déroule selon un cycle d’une remarquable régularité; une telle stéréotypie du cycle de marche traduit chez les patients une habileté posturolocomotrice qui ne doit rien à l’application d’une consigne apprise, mais suggère plutôt un mécanisme de gestion automatique et une implication minimal de l’exécutif conscient.
Précisons enfin que la marche intermittente à demi pas n’est pas à considérer comme un modèle rigide, mais plutôt comme une famille de boiteries dont chaque variante peut combiner des paramètres différent sans que l’équation qui lie ces paramètres ne soit changée.
Par exemple, la réduction de la longueur du pas du membre non parétique, toujours présente dans la marche intermittente à demi pas, prend des valeurs différentes d’un patient à l’autre, autour de la valeur médiane de 50 pour cent qui a été choisie arbitrairement comme type de description ; ce paramètre reste néanmoins étroitement corrélé avec la durée de l’appui unilatéral sur le membre parétique .
Lorsque le pas n’est plus restreint qu’à 30 ou 20 pour cent, on observe une durée relative du double appui plus brève avec une progression du corps en avant plus rapide et plus continue, mais aussi l’entrée en jeu corrélative d’un fauchage et/ou d’un frottement du pied au sol .
A l’inverse, lorsque la restriction de la longueur du pas dépasse la valeur médiane et atteint 60 ou 80 pour cent, la durée de la phase de double appui dans la position de fente où le pied parétique est devant s’accroît d’autant, l’appui unilatéral sur le membre parétique est de plus en plus bref, induisant une progression en avant d’autant plus lente et discontinue, mais sans fauchage ni frottement du pied au sol.
J’appelle les boiteries qui organisent le cycle de marche selon un mode de paramétrage cohérent des –boiterie anticipatrice- ; ce qualificatif met en valeur la coordination harmonieuse que ces boiteries ménagent entre les nombreux degrés de liberté du corps, et entre les phases successives du cycle locomoteur.
Et plus généralement, ce type de boiterie peut être dit anticipateur, dans la mesure où s’y optimise d’instant en instant, un subtil compromis entre certaines classes de facteurs :
Rappelons que FLEMING et BENDERGAST, dans une étude intitulée « Physical condition, activity pattern, and environment as factors in falls by adult care facility residents (1993) ont identifié trois facteurs de chute chez les personnes âgées: citation : « Les chutes surviennent à partir d'un inter jeu complexe entre un individu, son état physique, et l'environnement bâti ou naturel ».
Dans le travail de Chatelain, l’auteur distingue aussi trois catégories de facteurs à l’origine des chutes : des « causes endogènes, exogènes, et volatiles ».
Cette grille d’analyse en trois facteurs convient pour toutes sortes d’accidents impliquant les humains, comme par exemple les accidents de la route où sont impliqués –l »’état de la route, l’état du véhicule, et le comportement du conducteur.
On peut aussi s’inspirer de cette tripartition des cofacteurs de chutes pour élargir la réflexion sur l’inter jeu entre les critères garantissant ce qu’on peut appeler une boiterie réussie chez les patients cérébrolésés.
On pourra distinguer :
Le critère –a, (comme ACTION): Ici, on met en question le fait qu’une action posturolocomotrice d’une certaine nature soit entreprise par l’organisme.
Les enjeu sont alors de savoir pour quelle raison cette action survient plutôt qu’une autres, si l’organisme en prend l’initiative à ses risques et périls ou pour accomplir une tâche thérapeutique qu’on lui confie, comment justifier une série ordonnée de tâches posturolocomotrices visant à l’accompagnement thérapeutique du patient etc ;le critère ACTIVITE dérive de la notion de causes « volatiles » de CHATELAIN, et au facteur « activity pattern » de FLEMING et BENDERGAST.
Le critère –E, (comme ETAT PHYSIQUE) : Ici, on met en question l’état effectif des capacités physiques de l’organisme au moment où l’action se réalise.
Les enjeux sont alors de savoir dans quelle mesure les capacités physiques de l’organisme sont proportionnés à la difficulté de l’action entreprise, dans quelle mesure ces capacités s’améliorent ou se détériorent au cours de l’action, s’il est possible d’améliorer cette proportionnalité en augmentant les capacités physiques de l’organisme etc ; le critère ETAT PHYSIQUE dérive de la notion de cause »endogène » de CHATELAIN, et du facteur « Physical condition » de FLEMING et BENDERGAST.
Le critère –C (comme contexte) : Ici, on met en question les contraintes liées aux changements de l’environnement dans lequel l’action doit s’insérer.
Les enjeux sont alors de savoir si l’organisme s’ajuste efficacement aux changements du contexte externe et/ou interne qu’il subit et/ou qu’il produit , s’il peut stopper ou inverser l’action entreprise en fonction de ses suites immédiates dans l’environnement et/ou dans l’organisme, dans quelle mesure on peut modifier utilement l’action par l’aménagement thérapeutique de son contexte perceptuomoteur et/ou verbomoteur ETC ; le facteur CONTEXTE dérive de la notion de cause »exogène » de CHATELAIN, et du facteur «environment » de FLEMING et BENDERGAST.
ces considérations orientent clairement vers une conclusion provisoire en forme d’hypothèse : la marche intermittente à demi pas, dans sa forme canonique comme dans la gamme de ses variantes, est caractéristique du mode de coordination automatique et de l’habileté posturolocomotrice des patients hémiplégiques dont l’hémisphère droit a été épargné par la lésion.
Chez les cérébrolésés droits récemment lésés cependant, et monsieur AZRU en est un exemple remarquable, le cycle de marche se présente souvent comme une succession d’actions et de catastrophes disparates d’où ne se dessine aucune figure répétitive de boiterie anticipatrice.
Le comportement posturolocomoteur du patient est marqué par une imprudence, une impulsivité et une inconséquence qui le menacent en permanence d’une chutes partielle ou totale exigeant l’intervention immédiate du rééducateur (cf. RAPPORT & all 1993).
A tout instant, on a l’impression qu’une action motrice du coté parétique, mais aussi du côté non parétique peut , « sans logique apparente», être entreprise de manière non pertinente, ou paramétrée imparfaitement , trop tardive, trop lente, trop brève, trop faibles etc pour convenir au bon déroulement global du cycle de marche.
Ces erreurs chaotiques entraînent des perturbations que « le patient » se montre incapable d’anticiper ou d’éviter d’un cycle de pas au suivant ; dans les cas les moins sévères, la continuité de la progression peut néanmoins être assurée tant bien que mal durant de brèves séquences de déplacement, par des actions adaptatives de correction ou de rattrapage intervenant après-coup, que j’appelle des -boiteries réactionnelles-.
Les perturbations du cycle de marche du patient AZRU sont spectaculaires:
tendance à l’excès de vitesse avec emballement incontrôlé de la progression du corps en avant, mais possibilité inconstante d’arrêt de la marche par une réaction parachute du membre non parétique,
mise en charge impulsive suivie d’effondrement non anticipé du membre inférieur gauche en phase d’appui unilatéral, mais possibilité de rattrapage de la chute par une reprise précipitée d’appui sur le membre non parétique,
bascule du bassin avec chute non compensée du tronc en avant et à droite durant l’appui unilatéral gauche (signe de TRENDELENBURG), mais possibilité de réaction de rattrapage de la chute à droite par une réaction parachute du membre inférieur droit vers la droite,
accrochage du membre gauche sur le membre sain durant l’oscillation gauche entraînant une chute en avant irrattrapable,
chute imparable du corps en avant lors du frottement du pied au sol lorsque le membre parétique reste à la traîne en position arrière etc.
Ces alternances d’incidents et de rattrapage se succèdent selon un déterminisme rigoureux , mais d’où ne se détache pas une image répétitive aussi facile à systématiser que celle de la marche intermittente décrite par PESZCZYNSKI .
Il arrive néanmoins qu’on observe un bref enchaînement d’incidents d’allure caractéristique :
Au cours d’une marche guidée rapide sans canne, le scénario débute par une oscillation antérieure du membre inférieur non parétique qui interrompe la bascule en masse du bassin et du tronc vers l’avant et la droite décrite classiquement comme « signe de TRENDELENBURG » ; rappelons que cet incident locomoteur est une chute partielle centrée sur la hanche gauche résultant d’un déficit non compensé des muscles stabilisateurs du bassin, le moyen fessier gauche notamment, lors du passage en appui unilatéral sur le membre parétique.
Durant le double appui qui suit ce pas antérieur, le tronc continue à avancer tandis que les deux pieds restent au sol en fente antérolatérale.
A l’instant suivant, le membre inférieur parétique n’oscille pas vers l’avant ; il ne fauche pas mais reste à la traîne dans sa position arrière , le pied gauche ne s’élève pas mais frotte passivement sur le sol.
Et la cascade ne s’arrête pas là : Le freinage intempestif au niveau du pied gauche qui frotte au sol alors que la masse du tronc poursuit sa progression en avant crée un différentiel de vitesse apparemment méconnu par le patient, qui induit à son tour une bascule du tronc et une chute du corps en avant.
Ce périlleux dévalement antérieur du corps est parfois freinée in extremis par une étonnante réaction du patient qu’on pourrait appeler « épisode de marche unilatérale à deux demi pas » .
Il s’agit d’une sorte de double saut à cloche-pied sur le membre inférieur droit qui enchaîne coup sur coup deux enjambées unilatérales sans reprise d’appui sur le membre parétique, petite acrobatie qui aboutit à une position de grande fente des deux membres, abaissant trop le bassin, et trop instable pour permettre un arrêt en douceur dans une station debout sécurisée.
Le comportement posturolocomoteur des cérébrolésés droits que j’appelle « épisode catastrophique de marche unilatérale à deux demi pas « où s’enclenche irrésistiblement incidents non maîtrisés et réactions imparfaite à ces incidents, apparaît profondément différent dans son processus, de la marche intermittente à demi pas des cérébrolésés gauches, où chaque action locale du cycle de marche est finement préparée par une action locale qui la précède et proportionnée à l’action globale qui l’accompagne dans l’ensemble du corps.
Plus généralement, ces deux modes de comportement ne sont pas simplement différents l’un de l’autre : on peut dire qu’en un sens, ils sont symétriques dans leur différence.
Il apparaît en effet que les habiletés résiduelles de l’un ont quelque chose à voir avec les déficits de l’autre, et réciproquement.
Nous devons ici faire une pose, et nous demander si notre approche de la marche des hémiplégiques, si fortement structurée par la dichotomie hémisphère droit versus hémisphère gauche n’est pas trop symétrique, trop statique, et pour ainsi dire trop cohérente pour prétendre synthétiser l’immense variété des observations cliniques disponibles dans la mémoire des rééducateurs.
Mais avant de nous plonger dans une foule de détails et d’exceptions, il nous faut essayer d’examiner si cette grille de lecture à la mode ne peut pas encore nous livrer quelques données clinique utiles à la prise en charge rééducative de nos patients. On ne pourra en tout cas totalement éluder un problème jusqu’ici escamoté qui est celui des interactions du langage avec le comportement de boiterie.
On devra aussi affiner les descriptions en envisageant l’évolution de ces deux types de boiterie dans le temps et notamment en fonction de la récupération motrice de la parésie.
On devra enfin explorer le mode spécifique de flexibilité de ces boiteries et plus précisément leur modes de réponse à nos tentatives de modification thérapeutiques.
Différences du mode de récupération musculaire de la parésie chez les cérébrolésés droits et gauches.
La « différence symétrique » entre cérébrolésés gauches et droits se vérifie par exemple lorsqu’on étudie le mode de récupération du muscle quadriceps durant les premières semaines après l’ictus.
A ce stade précoce de la récupération motrice, le rééducateur explore diverses techniques de facilitation est surveille la moindre manifestation d’un retour du contrôle actif de l’extension du genou, tant dans la situation de décubitus sur la table d’examen, que dans la station debout main à la barre.
Chez les patients cérébrolésés gauches, généralement aphasiques et apraxiques, il est très souvent impossible, durant les premières semaines, d’obtenir, en position de décubitus, une contraction du quadriceps droit en employant des commandes verbales même très insistantes et suggestives, par l’application de résistances manuelles, ou par le détour d’une imitation de l’extension du genou non parétique.
A ce même stade cependant, lorsque le patient se tient debout main à la barre, le quadriceps droit nous offre une première petite contraction en réponse à la classique manœuvre de transfert passif rapide de son bassin vers la droite (la main du kiné qui maintient le genou droit en légère flexion perçoit une brusque mise en tension du tendon sous-rotulien).
S’il est possible , malgré l’aphasie, d’obtenir par guidage manuel que le patient soulève le pied gauche du sol, on peut même parfois vérifier qu’après hésitation et réticence, le patient est capable de conserver quelques secondes une position debout où le poids de son corps est réparti entre la main gauche à la barre et le membre inférieur parétique genou en léger flexum, en contraste remarquable avec le profond déficit d’extension du membre droit observé le même jour en position de décubitus.
Cette première contraction est parfaitement reproductible ; son déclenchement étroitement synchronisé avec le transfert du poids sur le membre inférieur droit, ne requiert ni explication préalable, ni signal verbal ; elle donne à l’observateur le sentiment qu’il s’agit qu’d’un mécanisme de production très précis qui n’exige du patient ni effort intense ni focalisation attentionnelle.
On peut parler, chez ces patients cérébrolésés gauches récents, de la préservation d’une habileté perceptuomotrice globale et automatique associée à un profond déficit de la capacité de produire des mouvements par imitation et/ou par l’intermédiaire d’informations et de commandes verbales.
Ce type de comportement renvoie à un syndrome que les classiques désignaient comme une « dissociation automatico-volontaire », typiquement associé à l’ »apraxie idéomotrice ».
Chez un patient cérébrolésé droit cependant, il peut être durablement impossible d’obtenir une contraction du quadriceps gauche à partir de la station debout main à la barre.
Lorsqu’on applique la manœuvre de transfert du poids au dessus du membre inférieur gauche, on ne perçoit aucune mise en tension du tendon sous-rotulien.
Si le rééducateur demande à ce même patient de soulever le pied droit du sol, il obéit immédiatement à la consigne, sans aucune réticence, hésitation ou objection ; ce geste remarquablement imprudent et impulsif du membre inférieur non parétique a évidemment pour résultat un effondrement spectaculaire du membre inférieur gauche sous le poids du corps.
Durant cette période, on pourra cependant obtenir du patient, sur la table d’examen, une contraction faible et évanescente du quadriceps gauche, ou même un bref décollement du talon, mais seulement après avoir conjugué plusieurs facteurs favorables:
position de départ en décubitus dorsal avec gros coussin sous les genoux,
focalisation de l’attention du patient sur son membre inférieur gauche,
information explicite sur la trajectoire du mouvement et l’intensité vraiment maximale de l’effort nécessaire,
signal de déclenchement prononcé d’une voix forte et suggestive.
Cette première ébauche d’extension antigravitaire du genou est clairement reproductible ; mais si le rééducateur en maîtrise aisément l’instant de départ, il n’en est pas de même pour les paramètres espace-durée-intensité de sa réalisation: L’allure du mouvement est très particulière : On attendrait que la jambe s’élève jusqu’à une position finale et s’immobilise pour un temps indéterminé (durant au moins quelques secondes) dans cette position .
Mais au lieu de cela, l’ascension n’est pas prolongée par une phase de maintien statique ; la jambe redescend irrésistiblement vers sa position de départ dès qu’elle a atteint le sommet de sa trajectoire, comme si l’action était commandée par une décharge de condensateur d’une durée définie.
Ce qui étonne aussi, c’est qu’une contraction musculaire très faible, « arrachée » au prix d’un effort intense, puisse rester localisée à une seule articulation (dans ces conditions d’effort intense, on attend plutôt une l’l’irradiation des contraction dans l’ensemble du corps telle qu’on observe chez les sujets non lésés et aussi chez les hémiplégiques cérébrolésés gauches présentant la classique syncinésie globale).
On peut parler, chez ces patients cérébrolésés droits récents, de la préservation d’une habileté verbomotrice analytique et volontaire associée à un profond déficit de la capacité de déclenchés automatiquement des mouvements coordonnés à l’action en cours dans le reste du corps.
J’ai essayé (en suivant MASSION 1992) d’approcher ce syndrome moteur typique des cérébrolésés droits récents par la notion de –découplage posturogestuel qui s’inscrit dans le contexte de troubles neuropsychologiques comme l’extinction sensitive et/ou motrice, la négligence sensorielle et/ou motrice , l’anosognosie et l’anosodiaphorie.
Différences symétrique dans la motilité du membre supérieur non parétique chez les cérébrolésés droits et gauches.
Le phénomène de différence symétrique entre cérébrolésés droits et gauches a aussi été observé au niveau du membre supérieur non parétique : Ces patients ont en effet une manière particulière de gérer leurs actions d’appui manuel secondaire, sur la barre ou la cannes qu’ils utilisent en station debout et à la marche.
Lorsqu’un cérébrolésé droit récent est placé debout, sa main droite tenant une barre à hauteur standard, on observe souvent que la posture du patient n’est pas verticale mais oblique à gauche: le bras droit ne crée pas un appui secondaire en développant une poussée sur la barre, mais fonctionne comme un hauban attaché à la barre, dont la mise en traction constitue le seul dispositif empêchant une chute du corps vers la gauche.
Si on demande à ce patient de déplacer son bras droit, par exemple de poser la main sur son épaule gauche, il exécute immédiatement la consigne(et seulement la consigne) sans adaptation posturale préalable, sans hésitation ni réticence : il lâche la barre, et amorce évidemment une lourde chute à gauche(éventuellement rattrapée in extremis par une reprise manuelle de la barre).
On est étonné d’un comportement aussi impulsif et inconséquent, dans lequel un geste dirigé vers un but « la composante téléocinétique », de l’action motrice selon HESS cité par MASSION 1992, est dissocié de son indispensable composante « erismatique» -« …composante qui apporte le support postural au mouvement, tout en maintenant l'équilibre ».
On interprète habituellement ce découplage posturogestuel en termes de négligence unilatérale de la parésie du membre inférieur gauche .
Il semble pourtant que ce trouble affecte aussi un aspect du contrôle perceptuomoteur du bras et de la main droite (non parétique) : le patient ne néglige pas simplement les conséquences posturales de son hémiparésie gauche, mais il néglige aussi, Lorsque s’amorce le geste d’ouverture de sa main droite, le glissement caractéristique de la barre qui lui « file entre les doigts », perception qui devrait en principe suffire à l’alerter sur le commencement d’une chute de son corps à gauche.
Lorsqu’on soumet au même test un patient cérébrolésé gauche récent, (patient placés debout, main gauche tenant la barre, bras agissant en traction agissant comme seul frein à une chute à droite), dans une position du corps oblique à droite du corps tronc oblique à droite, bras gauche agissant en traction), le découplage posturogestuel du cérébrolésé droit n’est jamais observé.
Dès qu’il comprend (malgré son aphasie) ce qu’on attend de lui, le patient paraît anticiper le risque de chute immédiate auquel on l’expose, il crispe énergiquement sa main sur la barre, fait clairement comprendre que ce qu’on lui demande ne convient pas, et qu’il refuse de jouer le jeu.. s’il le peut, il fléchit préalablement le coude gauche de manière à verticaliser son corps dans une position ne dépendant pas de l’action du membre supérieur gauche, et n’accepte de lâcher la barre que dans cette nouvelle situation.
L’utilisation d’une canne simple permet aussi de pointer des différences caractéristiques de comportement entre cérébrolésés droits et gauche .
On remarque très habituellement que chez les cérébrolésés droits , la marche spontanée avec canne est très peu différente de la marche sans canne : le patient se déplace canne en main, mais n’en fait pas grand-chose : il ne l’utilise pas pour rattraper une chute en avant, et encore moins une chute en arrière ; il la pose trop près de son pied droit, s’y appuie insuffisamment pour éviter l’effondrement en phase portante du membre parétique, propose au kiné de ne pas l’utiliser, abandonne spontanément un outil qui l’embarrasse, et ne le réclame jamais quand on « oublie » de le lui donner.
Chez un cérébrolésé gauche, au contraire, le patient tire un parti mécanique maximum de la canne : il modifie l’ensemble du cycle de marche qui devient plus fluide et moins consommateur d’énergie: l’incidence de la canne au sol est habilement paramétré pour permettre un appui maximum du bras gauche, la verticalité du tronc durant tout le cycle est mieux assurée, la boiterie de l’épaule droite (signe de DUCHENNE) en phase d’appui du membre inférieur droit est estompée, la durée de l’appui sur le membre inférieur droit est augmentée, la progression du corps est moins discontinue, etc., tous ces ajustements sont réalisés spontanément dès que le patient à la canne en main.
Différence symétrique dans la réponse à la thérapie des boiteries chez les cérébrolésés droits et gauches.
La différence symétrique entre les boiteries des cérébrolésés gauches et droits se vérifie notamment lorsqu’on compare ces boiteries sous l’angle de leur flexibilité en réponse aux tentatives thérapeutiques.
Il est facile de comprendre que le but général de la thérapie sera différent selon qu’il concerne un patient qui a découvert pratiquement tout seul une forme de boiterie très efficace, (c’est le cas de nombreux cérébrolésés gauches), et un patient (un cérébrolésé droit récent), qui ne sait pas encore qu’il ne sait plus marcher, qui risque tellement de chuter à chaque pas qu’on doit lui interdire toute initiative locomotrice autonome, ou même le sangler sur son fauteuil roulant.
Flexibilité de la marche des cérébrolésés gauches.
$$Chez les cérébrolésés gauches qui marchent depuis peu en adoptant spontanément une variante de la marche intermittente à demi pas, le rééducateur a souvent l’impression que le patient anticipe exagérément l’importance du déficit de force d’extension de son membre inférieur parétique ; Il se « méfie » beaucoup de l’instabilité de son membre parétique, et se croit obligé d’esquiver presque complètement la phase d’appui unilatéral sur ce membre et /ou de verrouiller son genou en recurvatum.
Sur la base de cette impression clinique, le rééducateur va donc tout naturellement se donner comme but de réduire la part d’exagération de la boiterie spontanée ; et pour obtenir un succès rapide, les premiers parcours de marche « corrigée » n’impliqueront pas la mise en jeu des capacités les plus perturbées(l’habileté verbomotrice volontaire notamment), mais s’appuieront plutôt sur les capacités épargnées par la lésion (notamment l’habileté perceptuomotrice automatique),
On admet en effet qu’il n’est pas très réaliste de tenter d’expliquer à un patient aphasique et apraxique qu’il va devoir , à chaque pas, penser à « charger plus franchement et plus longuement » sur son pied droit tout en verrouillant son genou en légère flexion, essayer de maintenir cette consigne présente dans sa mémoire, et l’appliquer à l’instant voulu dans le cycle de marche (il est d’ailleurs encore plus difficile d’obtenir que ces patients obéissent en temps réel à des commandes correctives précises).
Mais sommes-nous certains que la boiterie spontanée en esquive de l’appui des cérébrolésés gauches comporte toujours une bonne part de surcompensation nécessitant une rectification spécifique?
Il y a peut-être ici un piège assez subtil à méconnaître l’expertise des capacités de paramétrage automatique préservées chez les patients cérébrolésés gauches : ces patients donne certes l’impression de développer rigidement une inquiétante « mauvaise habitude », une marche anormale exigeant du kiné une correction directe et énergique .
Mais leur boiterie intermittente à demi pas qui résout si efficacement le problème locomoteur de nombreux hémiparétiques, doit aussi être considérée comme une remarquable réussite adaptative de la nature (devant laquelle la critique devrait rester modeste).
Etant donné qu’il n’est pas possible de sortir a priori de cette incertitude, le rééducateur devra mettre en œuvre un compromis entre contraintes et opportunités :
réduire au strict nécessaire les classiques parcours de marche (pour éviter l’éventuelle fixation de la « mauvaise habitude ») ,
améliorer la puissance du pattern d’extension du membre inférieur parétique par des Exercices intensifs de transfert d’appui sur le membre inférieur parétique en légère flexion du genou( approche TROISIER BOBATH BRUNSTROM),
faire « confiance » à l’habileté perceptuomotrice globale et automatique du patient pour exploiter cette meilleure capacité de mise en charge unilatérale dans une esquive de l’appui moins exagérée.
Divers parcours de marche en contexte aménagée (marches « acrobatiques » guidées sans paroles, sur la seule base de l’habileté perceptuomotrice) pourront aussi aider le patient à « se convaincre « de la réelle solidité de son membre inférieur droit :
Descente d’escalier avec canne simple (interpolation d’une légère flexion des genoux et bref soulèvement de la canne avant chaque mise en charge sur la marche inférieure) ;
Utilisation de la canne simple comme un obstacle à enjamber par le membre inférieur gauche (la canne simple, tenue du bout des doigts, et appuyée légèrement au sol contre le bord interne du pied droit constitue un repère visuel oblique induisant une trajectoire de g décalée vers la droite en phase d’appui droit);
Allongement de l’oscillation antérieure du membre inférieur gauche grâce au franchissement d’un repère visuel placé au raz du sol (il s’agit d’une petite tige en corde à piano fixée horizontalement à l’extrémité de la canne).
Flexibilité de la marche des cérébrolésés droits. Chez un patient cérébrolésé droit qu’on commence à mettre debout, le rééducateur observe souvent une chute verticale du corps produite par l’effondrement du membre inférieur en flexion qui survient régulièrement au départ d’un transfert du poids du corps depuis le membre inférieur non parétique vers le membre inférieur parétique.
Le constat paraît paradoxal puisque ce patient qui s’effondre passivement à chaque mise en charge de son membre parétique, peut très bien présenter par ailleurs de bonnes réponses d’extension volontaires du membre inférieur parétique lors d’un test réalisé en décubitus dorsal contre résistance manuelle.
Ce qui étonne aussi, c’est que cette défaillance régulière de l’activité tonique posturale des extenseurs parétiques ne paraît pas anticipée par le patient à chaque nouvelle tentative: Le mouvement de transfert du corps vers la gauche, qui démarre sur un ordre du kiné, n’est précédé d’aucune hésitation, ni objection de la part d’un patient qui semble faire simplement « ce qu’on lui dit » sans tenir compte des constats d’échec qu’il a enregistré ( ?) aux essais précédents.
Sur la base de ces impressions cliniques, le neurorééducateur peut logiquement se donner comme but de restaurer prioritairement la réactivité posturale automatique du membre inférieur parétique, dans l’esprit par exemple des suggestions thérapeutiques de Berta BOBATH du début des années 60.
A une époque où les différences motrices entre cérébrolésés droits et gauches n’étaient pas prioritairement prises en compte, l’auteur insistait en effet sur l’importance de stimuler des patterns posturaux globaux dont le caractère « automatique pourrait être garanti par leur déclenchement en condition inattentive .
On pensait même qu’il était nocif d’inciter un patient hémiplégique à focaliser son attention sur le détail de ses mouvements volontaires avant qu’il ait pu longuement bénéficier d’un réentraînement de la réactivité posturale automatique dans l’ensemble de son corps.
Cet ambitieux projet reconstructeur de BOBATH (qui a généré un ensemble d’exercices neuromusculaires d’une richesse incomparable,) convient peut-être à la prise en charge prolongée d’enfants IMC ; mais il ne propose pas une articulation suffisamment réaliste entre but et moyen à l’intérieur des contraintes de la prise en charge rééducative (généralement limitée à quelques mois) d’un adulte hémiplégique.
La surévaluation de l’efficacité potentielle de l’exercice thérapeutique que ce programme impliquait, exposait le rééducateur au risque de gaspiller un temps précieux à poursuivre des buts inaccessibles, et de négliger du même coup des progressions mieux adaptés au tableau clinique individuel de chaque patient et réclamant éventuellement des techniques moins sophistiquées.
Placé dans l’obligation d’obtenir, chez un cérébrolésé droit, un résultat fonctionnel tangible dans un délai relativement court, le rééducateur bobathien devra plutôt choisir un programme (choix contrintuitif !) fondé sur des exercices de marche n’impliquant pas d’emblée les capacités neuropsychologiques les plus perturbées (notamment l’habileté perceptuomotrice automatique),et et faisant appel aux capacités épargnées par la lésion (notamment l’habileté verbomotrice analytique).
Fin du texte :
Différences et symétries dans le comportement posturolocomoteur des cérébrolésés droits et gauches.
(en cours de rédaction).
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