Approche bilatérale du réentraînement du membre supérieur hémiplégique.
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Le texte complet
Notes sur le bilan et la rééducation du membre supérieur parétique dans la perspective de la construction d’une station d’entraînement bilatéral informatisé (STEB).
André Albert
1994-2005
Ce petit texte peut contribuer à expliquer comment je justifie l’intérêt de la création d’une station informatisée d’entrainement bilatéral des membres supérieurs de l’hémiplégique. Cette contribution au problème du bilan et du traitement du membre supérieur parétique portera essentiellement sur les cas de récupération considérés comme pauvres ou médiocres qui représentent une grande proportion des patients rencontrés en centre de réadaptation.
Malgré certaines apparences contraires, le concept rééducatif central que je développerai ici est le plus ambitieux qui soit :
Il fixe comme objectif à la neurorééducation, l’acquisition par le patient, d’irréversibles capacités réelles d’utilisation quotidienne du membre supérieur parétique. Le simple énoncé de cet objectif stratégique de notre approche rééducative, suffit à orienter notre concept d’un bilan clinique :
- Notre approche de tests ne pourra plus se limiter à apprécier finement la richesse de la capacité « gesticulatoire » du membre parétique.
- Lorsque nous avons pris connaissance, au début des années 60, de la contribution de E. Michels au bilan des hémiplégiques, nous étions formatés intensément par Kabat, Bobath, et Brunnstrom par le concept de « Pattern » global.
- Les patterns étaient quasiment à eux-seuls le critère qualitatif de la gestualité. Très peu de référence à l’utilisation d’objets extérieurs au corps qui agit, aucune mesure des paramètres quantitatifs de l’action.
- Devant une telle réduction de l’activité motrice à une sorte de gesticulation envisagée d’un point de vue purement géométrique et combinatoire, et notamment sous l’influence très pertinente des ergothérapeutes de Nancy, j’ai introduit dans cette première échelle une graduation supplémentaire pour faire droit à la force, la vitesse, la répétabilité, et l’automaticité des mouvements.
- Mais pour être pertinent, et justifier le temps qu’on y passe, notre bilan devra encore beaucoup plus précisément servir nos objectifs de mesure du progrès des capacités d'utilisation effective du membre supérieur dans la perspective d’actes affrontés non seulement aux syncinésies, mais d’abord aux objets quotidiennement utiles.
- Notre échelle devra donc aussi bien apprécier, non seulement la récupération spontanée d'ébauches gestuelles du membre supérieur, que mesurer, et donc quantifier, ce que nous pensons être les "effets paramétriques de l'entraînement" spécifique que nous mettrons en œuvre pour développer la fonctionnalité de ces ébauches gestuelles.
Une thèse compromettante !! A l’arrière plan de cette annonce de « bonnes intentions », se cache une thèse beaucoup plus compromettante au sujet du processus neurologique de récupération du membre supérieur hémiparétique, et de l’impact probable d’une rééducation sur ce processus :
Il existe de bonnes raisons de penser que l’approche rééducative ne peut efficacement inhiber, faciliter, ni a fortiori recréer ou reconstruire de toutes pièces des mouvements, (des schèmes syncinétiques ou hors syncinésie) ou des gestes fins :
les réapparitions gestuelles que nous observons chez nos patients durant les 3 premiers mois après la lésion, sont pour la plus grande part, des manifestations spontanées de la réactivation du cerveau lésé .
Pour essayer d’être plus précis, je dirai que mon hypothèse est qu’il n’existe pas actuellement une approche rééducative précoce qui soit capable d’aiguiller spécifiquement les recablages neuronaux postlésionnels vers des cibles déterminées du cerveau ou de la moelle . L’impact de nos approches rééducatives, même fondées sur des activités finement contrôlées du patient, ont très probablement un effet non nul, mais essentiellement global, sur le mode d’une réactivation diffuse du système nerveux central dont le câblage neuronal postlésionnel est grandement inaccessible à de simples influences comportementales .
Quotidiennement pris en charge et réentraîné avec soin, le patient présentera sans doute plus précocement ce que j’appelle des ébauches gestuelles qui seraient apparues tôt ou tard en l’absence de réentrainement,.
Moins brutalement, , je dirai que tant que l’objectif rééducatif est défini comme « recréation « ou « reconstruction » gestuelle, nous ne pouvons clairement départager les grandes méthodes rééducatives actuellement en concurrence : peu ou prou, ces méthodes se valent toutes, car elles sont probablement toutes relativement peu efficaces (J.P.Held).
Note sur le terme « ébauche » :
Cliniquement, ce qu’on peut nommer les « ébauches gestuelles » se présentent sur un mode assez immuable chez les hémiplégiques:
Lorsqu’ils commencent à réapparaitre, les gestes du patient ne sont qu’ébauchés : Ils sont de faible amplitude, très peu intenses, souvent lents à s’établir et d’une durée brève n’excédant pas quelques secondes, associés à des diffusions toniques parasites, fatigables et fortement dépendant d’une concentration de l’attention volontaire.
Une conclusion cruelle pas tout à fait sans espoir!.
Après de longues années d’expérimentation intuitive des différentes approches classiques et « modernes », j’ai effectivement acquis la conviction , et c’est une déception de nos espoirs initiaux, que l’essentiel de la « pseudo récupération » du membre supérieur des hémiplégiques est un processus spontané, massivement dépendant du site de la lésion, de sa taille, et de l’ampleur des destructions qu’elle provoque sur les réseaux neuronaux. Pour autant, j’ai aussi acquis au cours des années la conviction que les ébauches gestuelles quasi-spontanées des premières semaines , peuvent bénéficier pendant de longs mois d’un réentrainement spécifique capable d’en favoriser la qualité fonctionnelle, en améliorant certains de leurs paramètres décisifs, force et durée des contractions, rapidité de démarrage, fiabilité en situation de diversion attentionnelle, etc.
Nous ne renonçons donc pas à poser des objectifs stratégiques ambitieux à la neurorééducation, mais nous acceptons de quitter une fiction séduisante pour nous rapprocher des réalités.
Dans cette perspective, notre examen clinique du membre supérieur devra, le plus tôt possible, opérer un inventaire des ébauches gestuelles spontanées, qui, chez la majorité des patients, se présenteront, c’est un fait, en assez petit nombre :
Il s’agira par exemple des fonctions :
-de pointage ou d’orientation proximale du bras projetant la main dans une région déterminée de l’espace
- d’appuis de la main contrôlant la position d’objets bloqués sur des plans fixes ou contre le corps,
-De maintiens statiques, globaux ou plus sélectifs, d’objets dans la main.
Mais au-delà de ce premier inventaire, nous devrons affiner considérablement l’évaluation quantitative de chacune des composantes fonctionnellement stratégiques apparaissant comme le futur capital de base de la mobilité du patient observé . La suite de cet exposé montrera que dans notre perspective, on assume que le bilan ne soit pas neutre, mais qu’il existe une dépendance réciproque entre
-critères du bilan,
-objectifs, et moyens du traitement rééducatif.
En pratique, notre bilan standard, qui doit permettre de comparer terme à terme tous nos patients, pourra commencer, comme de coutume, par un inventaire global de toute la gestualité, ce qui pourra être réalisé par un mixte convenable des différentes échelles traditionnelles.
mais cette analyse standard sera prolongé par une étude ciblée, détaillée et quantitative, du petit nombre des fonctions reconnues comme stratégiques pour l’avenir fonctionnel du patient considéré.
La batterie de tests devra donc comporter aussi bien des épreuves impliquant :
-des actions du bras non parétique, à la recherche de compensations optimales, devant exiger ou non une relatéralisation fonctionnelle,
-des actions du bras lésé seul, concernant les rares opérations que le bras parétique est seul à pouvoir réaliser (comme laver le bras sain),
-mais surtout, on va voir pourquoi, des épreuves impliquant les deux membres supérieurs ensemble, et notamment des actions d'assistance du bras lésé, durant une activité fine du membre sain.
Handicap intrinsèque/handicap relatif du membre supérieur.
La mise en valeur de l’utilité de la construction d’une station d’entrainement à l’activité bimanuelle (STEB) mérite d’être argumentée assez précisément sur le plan clinique :
On a depuis longtemps identifié l’importance pratique , chez les hémiparétiques, de la situation fondamentale d’ »asymétrie fonctionnelle « (cf. Albert 1969) dans laquelle toute la gestualité du patient est plongée.
Mais cette considération, tant pour le bilan que pour le traitement, est trop souvent restée sans conséquence dans les prises en charge rééducatives:
Comme dans le passé, on ne regarde pas suffisamment les membres supérieurs de manière fonctionnelle, et donc, le membre supérieur lésé dans le contexte de la présence (compétition-coopération) de l'autre membre supérieur. Notamment, on pense encore trop souvent qu'un geste réalisable par le membre supérieur lésé, tel qu'on le constate au cours d'un test clinique classique où ce geste est demandé isolément au patient, possèdera de bonnes chances d’être effectivement mis en jeu dans la vie quotidienne.
On sait qu’il n’en est rien :
Dans la vie normale, hors du contexte rééducatif, les gestes réalisés en réponse à une requête urgente seront toujours démarrés par le membre le plus "disponible", c'est-à dire presque toujours par le membre « sain » , même si cette stratégie impose au patient un apprentissage de relatéralisation. C’est un constat presque infaillible et intuitivement explicable :
On ne voit pas pourquoi le patient imposerait à son bras parétique de réaliser un geste lent, pénible, fatigant et qui accapare toute son attention, alors qu’une solution créative immédiate surgit spontanément et automatiquement à partir de son membre supérieur non parétique.
Chez les patients que nous voyons en rééducation, et même si on tient compte des troubles gestuels du bras non parétique, le différentiel d’habileté entre les deux membres supérieurs est si écrasant que le membre parétique perd la partie à tout coup.
Et de fait, sauf quelques rares exceptions, seuls les gestes qui sont obligatoirement bimanuels de par la nature de l'opération requise, peuvent réellement "obliger" le patient à mettre en jeu le membre supérieur parétique. Or, ayant observé nos patients sur un temps long, nous savons bien que si un geste théoriquement réalisable par le membre parétique n’est que très rarement utilisé dans la vie quotidienne, il n’aura aucune chance de développer et surtout de conserver à long terme les paramètres quantitatifs et qualitatifs qui lui donnent sa valeur fonctionnelle :
Ces ébauches gestuelles non incluses dans des fonctions utilisées seront irrésistiblement mises à l’écart, et vouées, dans les cas extrêmes, à disparaître totalement du tableau clinique.
Ce phénomène est déjà présent chez un système nerveux non lésé ; il est bien connu des musiciens et des sportif de haut niveau qui doivent chaque jour « faire leurs gammes »: Mais les synapses et réseaux neuronaux résiduels d’un cerveau lésé restent encore beaucoup plus massivement dépendants, pour leur survie fonctionnelle, de leur mise en jeu régulière dans le cadre de l’activité quotidienne du patient.
Nous aboutissons donc à une première hypothèse:
seuls les gestes du membre parétique qui pourront être inclus dans des activités réclamant un usage bilatéral simultané des deux membres auront , presque sans exception, une chance d’être consolidés à long terme, sous réserve, et dans la mesure précise ou ce sont les seuls que le patient sera « contraint » de mettre en jeu quotidiennement.
Intuitivement, ces problèmes sont bien connus :
Nous sommes ici devant la « cause » la plus profonde de la relative pauvreté à long terme de l’usage fonctionnel des membres supérieurs chez les patients hémiparétiques :
Alors que la récupération motrice intrinsèque du membre parait dépendre essentiellement de l’entité et de la gravité lésionnelle, l’usage fonctionnel quotidien que le patient fait de cette récupération est directement lié à l’impact de la marginalisation sensori-motrice du membre parétique produite par la seule présence du membre controlatéral.
Alors que le membre inférieur non parétique devient très souvent capable de se comporter spontanément et à long terme comme un entraineur et un guide de l’utilisation déambulatoire du membre inférieur parétique,
le membre supérieur non parétique se place durablement en concurrence « faussée » avec le membre parétique, lui vole pour ainsi dire le travail, et tend quotidiennement à le marginaliser .
Mais, fait plus inquiétant, il ne s’agit pas d’un simple problème de compétition déloyale entre deux opérateurs:
Nous l’avons dit plus haut, c'est précisément à l'occasion de ces mêmes tentatives d'actions simultanées des deux membres supérieurs, que le cérébrolésé, doit affronter des difficultés neurologiques spécifiques, du type extinction sensitive et motrice, interférence tonique et mécanique entre les deux tâches, conflit de distribution attentionnelle, débordement des capacités de contrôle limitées de l’hémisphère « non lésé « devant la double tâche qui lui est imposée.
L’expérience de Nancy.
Alors qu’on ne parlait pas encore des approches rééducatives fondées sur l’utilisation forcée du bras parétique par mise à l’écart du bras non parétique , nous avons eu l'occasion de tirer ces conclusions en menant assez loin, avec quelques patients hémiparétiques, des entraînements de la fonction presse-papier du bras, dans une situation de diversion mécanique et attentionnelle produite par une tâche simultanée du bras sain.
On constatera en lisant l’histoire du patient « Baret » que le réentraînement spécifique en situation de coopération-compétition des deux bras n’est pas un luxe superflu, ou une bataille gagnée d’avance :
Nous avons pu constater qu'un entraînement prolongé plusieurs semaines de la coopération bilatérale des bras devait être mené avant qu'un seuil d'efficacité réelle de cette coopération soit franchi de manière relativement irréversible.
Nous avons aussi observé, à la faveur de cet entrainement en feed back, de très importantes progression dans le domaine de cette fonction précise (appui quantitativement contrôlé durant une action de diversion), l'appui exercé par la main parétique passant de quelques centaines de grammes à 6 kilos, et la durée de l'épreuve élémentaire passant de trois secondes à près d'une minute.
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Le dispositif électromécanique de Nancy.
Techniquement, chez un patient en station assise, l'appui de la main était appliqué (bras parétique) sur le plateau d’une bascule lestée(de type balance romaine) , avec feed back tactile et sonore :
Le patient devait exercer un appui sur la bascule avec une intensité qui était déterminée au début de l’essai par le placement d’un contrepoids sur une crémaillère. Chaque fois que le seuil minimum d’appui était franchi par défaut, le patient était alerté par un petit ressaut du plateau de la bascule, et par un signal sonore commandé par un contacteur électrique.
Ce signal (feed back) d’erreur était très clair et aidait puissamment le patient à entretenir, pour des durées de plus en plus longues, un appui actif d’intensité suffisante.
Il n’existait pas de seuil d’intensité supérieur qui aurait informé le patient d’un excès de pression, ce qui représentait un certain inconvénient de notre dispositif. Certains patients apprenaient spontanément à situer l’intensité de leur pression assez loin du seuil d’erreur par défaut, tout en évitant qu’un appui trop fort n’induise une fatigue précoce qui ampute la durée de l’essai. La tâche de diversion (bras non parétique) était réalisée par des lancers de balle au sol avec rebond et rattrapage, (balle reliée à un élastique, pour permettre la reprise en main facile sans quitter la position assise ).
Les paramètres quantitatifs enregistrés étaient simplement la force de l’appui, et, par le comptage des lancers de balle, la durée approximative de chaque essai élémentaire.
Le patient Baret présenta une attitude subtile de bon gestionnaire de ses gestes et de ses progressions :
(cf. document séparé). Hémiparétique droit, il réalisait l’appui statique sur sa main droite, et avait dû acquérir une habileté nouvelle pour lui, dans le lancer-rattrapé rapide de balle au niveau de sa main gauche. On verra qu’il sut développer des stratégies subtiles en cas d’erreur pour « sauver » un essai malgré un accident de parcours, et qu’il sut affiner la marge de variation de l’intensité de sa pression manuelle pour l’adapter à chaque projet d’action qu’il se fixait.
En bref, j’ai acquis à travers cette histoire mémorable, l’impression nette que l'entraînement, qui avait duré environ 8 semaines 5 jours sur 7, à raison de deux demi-heures par jour, ,avait considérablement amélioré l'efficacité et la disponibilité de la fonction bimanuelle de ce patient.
Il n’est vraiment pas improbable , que cet entrainement d’un volume total considérable, que le patient réalisait dans le gymnase en toute autonomie, avait pu aussi contribuer, au niveau du bras parétique, à améliorer les paramètres quotidiennement testés, force, vitesse d'établissement de la force, endurance, notamment dans l’acte intrinsèque d’appui.
Notons en passant que de tels progrès fonctionnels seraient probablement passés inaperçus lors de l’administration d’un test classique de gesticulation comme par exemple le test de E. Michels.
En attendant mieux, un mini test « presse papier ».
Lorsque, bien entendu, on ne dispose pas d’une station d’entrainement quantitativement contrôlée (STEB) , on a au moins la possibilité, au lieu de s’enfermer dans une problématique purement géométrique et combinatoire d’analyse gestuelle, de gagner du temps et de la pertinence en réalisant un tout petit test à la « Luria » :
L’examinateur demande au patient d’appuyer la paume de sa main, ou le bout de ses doigts sur un dossier cartonné posé au bord du bureau. On demande ensuite au patient d’ »appuyer » , (la classique fonction presse-papier ) , pendant qu’on tire légèrement sur le carton pour le faire glisser malgré cet appui. Le patient se prend au jeu, et comprend que dès qu’il cesse d’appuyer suffisamment sur le carton, celui-ci va glisser sur le bureau. Lorsque la tâche presse-papier primaire est clairement acquise , on ajoute une seconde tâche, confiée à la main saine, jeu de balle avec rebond ou formule de tapping rythmique des doigts. Si le patient n’a jamais été entrainé à ce type d’action sous diversion controlatérale, la tâche primaire d’appui , bien que correctement contrôlable durant quelques secondes, va s’interrompre (extinction) dès la mise en jeu de la tâche de diversion.
Une pratique systématique du test « presse-papier » conduit à la conviction que pour de nombreux patients, cette fonction de simple presse en situation de diversion controlatérale, apparemment moins noble que la réalisation de discriminations unimanuelles fines tels qu’on les teste classiquement lors des consultations, constitue pourtant, en fin de compte, une performance d’assez haut niveau, et d'une plus réelle validité clinique et prospective.
Ce mini test « presse-papier » , reste très qualitatif, mais son intérêt pratique va beaucoup plus loin que la mise en évidence d‘une simple curiosité neurologique :
Il met en lumière, nous l’avons dit, une difficulté très profonde liée à presque toutes les lésions unilatérales du cerveau qui est en très grande partie responsable de la très médiocre « utilisation » effective , par les patients hémiparétiques, des gestes que les rééducateurs ont pourtant cru soigneusement réentraîner.
L’extinction sensitive et/ou motrice n’est pas, sans doute, sous-tendue par un mécanisme physiopathologique simple et toujours le même chez les patients. D’ailleurs, un mini test qualitatif comme le test du presse-papier ne peut évidemment suffire à nous guider pour conduire la rééducation motrice de toutes les fonctions du membre supérieur parétique qui nous intéressent :
Mais il peut mettre les cliniciens sur la voie d’un modèle général d’épreuve d’activité bilatérale qui pourront être étalonnées, diversifiées, et permettre des mesures quantitatives éventuellement sophistiquées, dès lors qu’on disposera d’une station d’entrainement informatisée (STEB) .
On pourra graduer et mesurer en temps réel, et très finement (capteurs électroniques de force, amplitude, durée, fréquence), le niveau d’exigence psychomotrice des deux sous-tâches, et aboutir à des indices de performances uni et bilatérales et à de suggestives courbes d’apprentissage.
En bref, la maitrise d’un tel outil d’entrainement et de mesure nous aidera à surmonter l’erreur habituelle de non prise en compte du problème du handicap relatif du membre parétique, ou l’erreur consistant à noyer ce problème dans un concept vague d’habileté générale déconnecté de la perspective de l’usage effectif du membre .
Un tel flou théorique pourrait ne pas être trop gênant dans d'autres pathologies psychomotrices, mais compromettrait lourdement notre ambition de pertinence et d’efficacité rééducative, au moins dans certains cas d’hémiplégie.
Redisons-le, un bon bilan ne devrait jamais être « complet » jusqu’à l’absurde. En pratique, nous l’avons vu, selon l’allure de la récupération spontanée, le bilan doit plutôt se concentrer sur les ébauches gestuelles qui se dessinent le plus clairement durant les premières semaines après la lésion.
Et paradoxalement, mais en vérité, ce n’est pas le diagnostic, mais bien le pronostic qui va décider des choix de notre prise en charge rééducative :
Au-delà d’un simple constat instantané, l’équipe rééducative adoptera une attitude prospective, et tentera de situer dès que possible le cadre dans lequel va se jouer la récupération.
Cette équipe, (dont le patient devient un acteur conscient), tentera d’identifier la nature, le nombre, et la qualité des gestes qui pourront permettre la réalisation d'une opération utile et qui sembleront « mériter » d’être développés et consolidés.
La détermination de ce cadre fera donc l'objet d'un premier bilan clinique et prévisionnel , dont le score chiffré pourra par exemple se traduire par le nombre des différents gestes de préhension ou de contrôle d'un objet dont le membre sera au mieux capable:
On envisagera par exemple :
- un bras à deux prises, l'adduction de l’humérus contre le thorax, et la flexion du coude en potence,
-une main à une prise, la flexion globale des doigts, etc.
J'ai en effet de plus en plus la conviction, surtout dans le contexte de l'hémiplégie vasculaire relativement grave, qu'il nous faut concentrer les moyens et l'effort rééducatif à l'intérieur du répertoire gestuel (souvent très restreint) qui présente une tendance à la récupération spontanée relativement nette et précoce.
On sait, ou devrait savoir, que même à l'intérieur de ce cadre souvent déjà très étroit, l'effort rééducatif nécessaire à l'optimisation fonctionnelle des ébauches gestuelles spontanées sera malgré tout très important, et toujours aléatoire, à moins qu'un certain seuil d'efficacité puisse être atteint et consolidé.
Je reconnais qu’une telle approche est théoriquement très tendancieuse, et donne à ces premiers bilans « pronostics » une importance déterminante dans le choix d’objectifs de rééducation réalistes.
Prenons un exemple caricatural:
pour un patient souffrant d'un bras déficitaire et très spastique, mais présentant une fermeture active des doigts, l'objectif rééducatif sera (dès lors qu'aucune intervention neuro-orthopédique n'est jugée praticable),
-non pas une illusoire reconstruction motrice,
-« inhibition » des fléchisseurs à la recherche d’une improbable extension volontaire des doigts,
-mais bien au contraire le renforcement et le développement de la force de flexion globale des doigts
Je ne dis pas cela uniquement pour contredire d’illustres prédécesseurs, mais pour une raison très simple et sérieuse, argument que j’aimerais faire partager :
Il faut agir ainsi, de manière à ce que ce geste élémentaire de fermeture manuelle , qui représente à notre regard utilitariste, la seule ébauche de fonction épargnée par la lésion, devienne modestement mais réellement utilisable, (par exemple pour bloquer de façon fiable un objet d'abord placé dans la main parétique à l'aide de l'autre main).
Pour atteindre cet objectif apparemment « modeste » , la rééducation devra peut-être se poursuivre durant plusieurs mois, et porter sur la flexion des doigts, afin d'améliorer réellement la force, la durée des contractions, leur automatisation, etc., notamment par des entrainements réalisés en situation de diversion attentionnelle tels qu’on pourrait les réaliser grâce une station d’entrainement informatisée d’un modèle simplifié utilisable à domicile (STEB).
Pour concrétiser notre perspective, examinons quelques situations typiques.
-1) Dans les cas les plus graves, on ne peut envisager, dans le devenir de certains patients, qu’un bras inerte hypotonique, non douloureux, accepté et intégré, avec une épaule demeurant distendue et fragile nécessitant le port définitif d'une contention par écharpe.
Il est clair que nous n’envisagerons pas une rééducation active (reconstructrice ou inhibitrice « acharnée » dans un tel cas de déficit profond du membre supérieur ; il reste qu’un réentrainement du membre non parétique -(relatéralisation) soigneux, dans l’esprit de l’ergothérapie, et peut-être aussi l’utilisation d’une station d’entrainement interactive seront nécessaires pour que le patient accepte sa paralysie et la compense au mieux par le membre supérieur non parétique.
- 2) Le bras hypertonique peu mobile, non douloureux, accepté et intégré, pour lequel on peut envisager dans l’avenir une dispense de la contention par écharpe, si les muscles spastiques peuvent s’avérer capables d’éviter les complications trophiques et la distension scapulaire. Un entrainement simplifié à l’intérieur des syncinésies, en situation de diversion, pourra contribuer aussi bien à consolider la contention de l’épaule que l’habileté de la main non parétique.
-3) Le bras spontanément mobile « syncinétique » avec une omoplate figée n’orientant pas finement l’humérus, épaule et coude mobiles mais mutuellement contraints , non douloureux, sans troubles trophiques.
Supposons que ce patient présente, en outre , une flexion spastique permanente du poignet rendant problématique , aussi bien l'appui presse-papier sur la paume que la préhension digitale en force, une discussion délicate des objectifs stratégiques devra être opérée, avec probablement la prise en considération de l’impact négatif de la mauvaise qualité distale sur le pronostic d’utilisation proximale
:Une contention par orthèse de l’extension du poignet pourra peut-être éclairer un peu le pronostic, et permettre la mise en jeu d’un entrainement bilatéral sur station informatisée, pour renforcer la flexion des doigts (pince pouce-index pulpolatérale) et peut-être du coude, ou l’adduction de l’humérus contre le thorax.
4) Dans des cas relativement moins graves, la racine du membre est bien mobile, et présente une ébauche d’adduction active du bras:
un objet pourrait éventuellement être maintenu bloqué contre le thorax grâce à cette adduction de l'humérus. Pour se concrétiser, cet objectif fonctionnel « modeste » supposera néanmoins un surentraînement de la force et de la fiabilité de l'adduction de l’épaule en situation de diversion attentionnelle.
5) Certains patients présentent spontanément une flexion active du coude:
Certains objets peuvent être posés ou accrochés sur l'avant-bras grâce à une ferme flexion du coude. Pour se concrétiser, cet objectif fonctionnel bien modeste supposera néanmoins un surentraînement de la force et de la fiabilité de la flexion du coude, notamment en situation de diversion attentionnelle et /ou durant une action symétrique du bras opposé.
6) Le patient présente une ébauche de Flexion active des doigts:
La main n'est utilisable que par la seule flexion active ou spastique peu intense des doigts permettant la tenue d'un objet assez léger durant peu de temps, sans possibilité d'ouverture de la main ou de làcher autonome de l'objet (prise palmaire globale ou pince pouce-index pulpolatérale, dans laquelle la pulpe du pouce s’oppose à la face latérale de l’index fléchi).
Pour se concrétiser, cet objectif fonctionnel supposera un surentraînement de la stabilisation du poignet par Cocontraction des loges musculaires antérieure et postérieure de l'avant-bras, et ne sera pérennisé (au dessus d’un seuil minimum de force) que grâce à un entrainement intensif des différentes prises en situation de diversion controlatérale.
7) Le patient présente le classique membre "presse papier", permettant le blocage d'un objet entre la paume et un plan fixe. Il s'agit d'une activité complexe impliquant :
-un transport contrôlé de la main vers le point d'appui à partir d'un mouvement au moins partiellement hors syncinésie de la racine du bras(action de pointage),
-une extension active du coude combinée à la fixation proximale par les muscles abaisseurs de l’épaule,
-une mobilité non douloureuse complète de l'extension du poignet, permettant un contact efficace de la paume avec l'objet.
Pour se concrétiser, l’objectif fonctionnel de membre « presse-papier » supposera un surentraînement des pointages de la main à l'intérieur d'un cône de minimum 45°, et un développement intensif en force, durée, fiabilité, automatisme des contractions des abaisseurs de l'épaule du deltoïde et du triceps, en situation de diversion attentionnelle, et notamment durant l'activité habile de la main opposée (STEB).
8) La main mobile syncinétique, avec ouverture par extension active, mais simultanée des doigts.
L'optimisation de cette fonction supposera notamment qu'on développe une ouverture suffisamment rapide par surentraînement en situation de contrôle de fréquence;( exercices d'ouverture et fermeture rapide de la main sur un dispositif électromécanique permettant le comptage des gestes durant une période de temps définie).On ne perdra pas de vue que cette main aura certes besoin de confirmer son habileté d’ouverture, mais aussi principalement développer et confirmer la force et la fiabilité de sa fermeture, objectif auquel les conceptions traditionnelles de « rééquilibration des antagonistes » répugnaient par principe.
9) La main globale utilisable en force, ( signe du » bifteck,") Il n’est pas exclu que dans ce cas relativement favorable, on puisse envisager le développement de la saisie d’un manche de fourchette plus gros, adapté, après surentraînement de la force de flexion des doigts et de la stabilisation du poignet.
Il est clair une fois de plus que dans ce cas, un entraînement de la puissance de la prise manuelle en situation de diversion attentionnelle et mécanique sera indispensable pour consolider cet objectif ambitieux.
Et ici encore, on devra surmonter les anciens préjugés de la neurorééducation du siècle dernier, qui interdisait tout renforcement d’un groupe musculaire fléchisseur, dans la crainte « idéologique » de nuire à la capacité d’ouverture assurée par le groupe musculaire antagoniste.
Une seule station d’entrainement adaptable à plusieurs fonctions.
Ce rapide survol montre clairement que les fonctions retenues comme plausibles pour le réentrainement d’un membre supérieur gravement parétique se présentent en nombre limité.
Il parait donc envisageable de construire, pour chacune de ces fonctions, un dispositif matériel d’interface muni de capteurs de force qui permette au patient de s’exercer confortablement dans une situation simulant la réalité, tout en contrôlant finement sa performance grâce un riche feed back.
Il s’agirait notamment de dispositifs standardisés équipés d’un capteur électronique de force comme :
-Une loge adaptée à l’appui d’une main « presse-papier »( feed back vibratoire signalant l’insuffisance d’appui),
-Un manche cylindrique permettant la prise manuelle globale,
-un objet plat de petite taille pouvant être bloqué par la pince pouce-index pulpolatérale,
-un objet volumineux et déformable, qu’on puisse bloquer par l’adduction du bras contre le thorax,
-Une potence orientable capable de soutenir et contrôler le membre supérieur dans des postures orientées projetant la main dans des régions définies de l’espace.
En face de ces différents dispositifs périphériques d’interface, Une unité informatique centrale traiterait, et afficherait sur un écran, en temps réel, le signal électronique généré au niveau de chaque objet par l’activité du patient
Il ne serait pas nécessaire de diversifier notablement les modes de traitement statistique et d’affichage opéré par l’unité centrale, selon qu’on choisirait telle ou telle fonction à entrainer :
Dans tous les cas, le patient se verrait proposé d’établir, au niveau du membre parétique, un certain degré d’activité motrice, appui, prise, posture, en respectant, pour une période de temps définie, le maintien du signal de sa performance entre une borne inférieure et une borne supérieure clairement affichées, au départ de chaque essai.
Comme nous l’avons vu, cette activité tonique du membre parétique serait de plus réalisée dans une situation de diversion attentionnelle créée par une tâche de poursuite visuospatiale exigeante, confiée à la main non parétique et affichée à l’écran.
Notre dispositif évoque évidemment une banale play station, nous devrons bien entendu en tenir compte, et ne pas « vouloir refaire » ce qui existe déjà dans l’environnement quotidien
Pour conclure, tentons de situer notre projet dans un contexte réaliste :
Je pense qu’il peut être pertinent d’ajouter aux équipements, déjà riches, des gymnases de neurorééducation, une station informatisée d’entrainement bilatéral des membres supérieurs destinée aux hémiparétiques.
J’ai clairement expliqué que ma conviction était en grande partie fondée sur une certaine idée des processus à l’œuvre dans la récupération gestuelle postlésionnelle, et aussi sur une conception réaliste, mais en vérité ambitieuse de l’impact possible d’un réentrainement sensori-moteur précis et intensif.
Rétrospectivement, je me souviens d’avoir souvent rencontré des patients qui présentaient , après quelques mois, des ébauches gestuelles clairement dessinées, mais que ma prise en charge ne pouvait raisonnablement prendre en considération, faute de disposer d’un outil d’entrainement pertinent.
La présence dans le gymnase d’une station d’entrainement précise et d’usage autonome confortable, aurait sans aucun doute modifié le pronostic fonctionnel pessimiste que je posais alors quant-au membre supérieur, et m’aurait permis de poursuivre sans gaspillage de temps les autres entrainements essentiels de ces patients, ( sécurité et efficacité de la station debout et de la déambulation).
Ces considérations positives seraient de plus confortées si on pouvait envisager la construction de stations d’entrainement simplifiées qui puissent être prêtées à un patient ayant retrouvé son domicile, ou au cours de son séjour dans un établissement moins spécialisé que le centre de réadaptation .
On sait que les progrès du membre supérieur peuvent s’étendre sur une période de temps qui dépasse assez largement la période nécessaire à l’acquisition de l’autonomie déambulatoire, période dont la fin marque souvent, pour beaucoup de très bonnes raisons, la date du retour du patient à son domicile.
L’utilisation par certains patients (bien choisis) d’une station STEB simplifiée, adaptée à un auto-entrainement à domicile, permettrait d’éviter l’arrêt brutal et prématuré de l’acquisition de capacités fonctionnelles du bras, tout en évitant les inconvénients économiques et sociaux bien connus d’un maintien trop prolongé en institution spécialisée.
Pour autant, je conçois que le progrès technique qui permettrait d’aider un certain nombre de patients par un entraînement intensif sur STEB , à réaliser des actions bimanuelles exigeantes et fiables ne pourra jamais suffire à garantir que dans la « vie normale », et à long terme, tous ces patients « utiliseront » effectivement ces nouvelles capacités, et les conserveront disponibles par un entretien quotidien en condition naturelle.
Les ombres au tableau !
On sait bien que les lésions cérébrales responsables des troubles toniques et sensorimoteurs peuvent aussi fréquemment provoquer des perturbations trophiques, neuropsychologiques et émotionnelles graves, qui sont invariablement de sérieux obstacles à nos objectifs rééducatifs, fussent-ils réalistes et raisonnablement ambitieux
Dans ce contexte, le nombre total de patients bénéficiant vraiment d’un tel programme de réentraînement bilatéral informatisé des membres supérieurs , sera probablement relativement restreint.
Mais cette objection serait valable quelle que soit notre approche rééducative, nous l’avons rencontrée en permanence au cours des années, et nous avons progressivement appris à en tenir compte, pour ne tromper ni nous-mêmes, ni surtout les patients et leur famille, pour lesquels nous devons moins entreprendre le meilleur, que réussir le possible.