Histoire du patient BARET, le réentraînement bilatéral des membres supérieurs d'un patient hémiparétique.

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Histoire du patient Baret. Réentrainement de la fonction "presse-papier" du membre supérieur parétique en situation de diversion par l'activité de la main controlatérale non parétique. Le membre supérieur hémiplégique sera souvent désigné par l’abréviation « MSHP ». On reprend ici un texte inédit présenté au Gerna: ESSAI de REENTRAINEMENT et DE MESURE DU CONTROLE SIMULTANE DES DEUX MEMBRES SUPERIEURS CHEZ UN HEMIPLEGIQUE. CHEMINEMENT. L'origine du travail actuel remonte à l'année 1960, date à laquelle nous avons commencé à prendre en compte les objectifs thérapeutiques et les techniques proposées par BOBATH. a) objectifs. Dans les cas d'hémiplégie grave où la récupération des fonctions de préhension et de manipulation ne peut être espérée, on peut encore se fixer comme objectif le geste de blocage d'un objet sur un plan fixe grâce à la paume de la main. Cet appui grossier est réalisé par contraction simultanée des abaisseurs de l'épaule et du triceps brachial (main presse-papier). b) Techniques. Ce geste d'appui du membre supérieur peut être réentraîné chez un patient en station assise, debout, mais aussi en station quadrupédique. C'est au cours du réentrainement en quadrupédie que nous observons le phénomène suivant : l'extension du coude est souvent réalisable lorsque la charge du tronc est transférée à la verticale du point d'appui de la main au sol. Mais cela n'est vrai qu'en l'absence de tout contact de la main saine au sol. En effet, lorsque les deux mains sont en appui au sol et qu'on tente d'obtenir une extension active simultanée des deux coudes, on ne retrouve pas la contraction du triceps du côté atteint. Sans prétendre interpréter ce phénomène, nous le désignons alors sous le terme sans doute impropre "d'extinction motrice", par analogie avec ce qu'on a décrit dans le domaine de la sensibilité. On peut observer en effet chez certains hémiplégiques, une disparition de la perception des stimulations tactiles au niveau de la main atteinte, lorsque des stimulations identiques sont appliquées simultanément à la main saine. 2 UTILISATION EFFECTIVE DE LA MAIN PRESSEPAPIER. Lorsqu'on sort du cadre des exercices thérapeutiques pour observer le patient dans les tâches quotidiennes, ou en ergothérapie, on est souvent déçu par le manque d'utilisation effective du membre supérieur atteint, même dans un geste apparemment aussi simple que la fonction "presse-papier". Alors que le membre supérieur et la main sont capables de réaliser les fonctions d'appui et d'adaptation nécessaires au contrôle d'un objet sur un plan fixe, ces mêmes gestes deviennent brusquement inefficaces ou impossibles dès lors que la main saine entre en jeu pour compléter l'opération. Exemple : bloquer une boule de pain sur une planche de bois et la découper avec un couteau-scie. Il nous semble qu'il s'agit là d'une difficulté spécifique qui n'est pas réductible à des troubles sensorimoteurs banaux. La difficulté de mise en jeu simultanée des deux membres supérieurs n'est pas mécaniquement une fonction directe de la gravité relative de l'atteinte du membre hémiplégique. Malgré une bonne récupération, tel bras sera incapable de coopérer avec le bras sain, alors qu'un bras plus gravement atteint peut devenir capable d'un blocage fiable de l'objet au cours d'opérations fines réalisées par la main saine. 3 TEST ET REENTRAINEMENT. Il est possible de mettre en évidence cette difficulté particulière de coopération bimanuelle par un test simple : on demande au malade d'appliquer sa main sur une feuille de papier posée sur la table. Le maintien, à un niveau stable, de la force d'appui manuel, est testé par une traction sur la feuille de papier, réalisée de manière continue par l'examinateur. Après s'être assuré que le malade peut bloquer la feuille pendant environ 10 secondes, on refait l'expérience en lui demandant, en outre, une tâche insolite de la main saine, par exemple imitation de séquences de tapes asymétriques de plus en plus difficiles. On peut alors observer l'affaiblissement ou la disparition de la contraction de l'extenseur du coude. On peut aussi observer au niveau du triceps, des contractions discontinues, qu'on peut sans doute attribuer à des essais de correction volontaire produites par un patient attentif. nous avons cherché à standardiser notre matériel. Sur les conseils de Bernard GAU, nous réalisons une glissière de plastique dans laquelle coulisse une plaque d'appui de la taille d'une assiette. Cette plaque est reliée à un poids par un circuit à poulie. Cette charge agit en permanence sur la plaque, et la fait glisser horizontalement lorsque la pression de la main qui devrait la bloquer devient insuffisante. Le seuil minimum de force à ne pas franchir dépend du poids attaché au circuit. La tâche confiée à la main saine consiste à lancer au sol et à rattraper une petite balle mousse. Pour éviter les recherches fastidieuses en cas d'échappement de la balle, celle-ci est fixée à la chaise par un fil élastique très fin de 60 cm. Essai de réentrainement sensorimoteur 1) Programmation, par le choix du contrepoids et du nombre de lancers de balle. 2) Contrôle par feed back de type discontinu, signalant le franchissement d'une limite inférieure de force d'appui, le glissement de la plaque prenant la valeur d'un signal d'erreur. Ce dispositif mécanique n'est pas très sensible, ni très facile à manier par le patient. Le dispositif de test et d'entrainement utilisé ultérieurement est constitué d'une plaque basculante à contrepoids, équipé de contacteurs électriques fournissant des signaux d'erreur. 4Description de la tâche. a) Position et mouvements. Le patient est assis sur une chaise, genoux écartés, tronc incliné en avant. La loge d'appui de la main est disposée devant le malade ou légèrement décalée vers le côté hémiplégique. La paume de la main appuie sur la loge grâce à une extension active du coude qui demeure en légère flexion. On évite une extension totale du coude avec verticalisation de l'avant-bras, qui entraînerait une hyperextension douloureuse du poignet. Les gestes de lancer et de rattraper la balle interfèrent souvent avec la tâche de maintien statique en accaparant l'attention du patient. En cas de faux rebond de la balle, d'autre part, les brusques corrections de trajectoire de la main saine s'accompagnent fréquemment de mouvements involontaires du tronc qui déstabilisent l'appui de la main atteinte. Le jeu de balle paraît donc constituer une riche activité de diversion de l'attention ; il peut aussi interférer mécaniquement avec la tache de l'autre main. Les erreurs d'appui de la main atteinte se produisent le plus souvent lors d'un faux rebond de la balle entraînant un brusque geste de correction de la main saine. Souvent aussi, on note des erreurs qui paraissent liées à la fatigue, alors même que les lancers de balle se poursuivent régulièrement et sans surprise. Dans de nombreux cas cependant, on ne trouve aucune explication à l'erreur, que ce soit par l'observation ou en interrogeant le patient. Les patients apprennent spontanément à éviter la survenue intempestive du signal d'erreur en augmentant préventivement leur force d'appui au bout d'un certain nombre de lancers de balle, de manière à éloigner leur force d'appui du seuil minimum. Mais avant d'avoir découvert cette parade, les patients se laissent souvent surprendre par le phénomène d'extinction motrice, qui les laisse désemparés pour quelques secondes, jusqu'au moment où ils peuvent réagir à l'erreur par un brusque rétablissement de la force d'appui de la main en réactivant la contraction du triceps. Le délai de cette réaction est très variable d'un patient à l'autre, et peut aller d'une fraction de seconde jusqu'à dix secondes et plus. Dans certains cas, plusieurs erreurs se succèdent sans que le patient parvienne à rétablir une pression stable sur la plaque. Appareil utilisé pour le patient Baret. Il s'agit d'une sorte de planche à bascule à deux segments inégaux dont l'axe est solidaire d'un support très stable, sorte de petite table basse à quatre pieds. La hauteur du support est celle d'un siège standard, ce qui permet à un patient assis de réaliser un appui efficace, coude légèrement fléchi. La main s'appuie à plat ou dans une loge galbée (en liège) sur le segment le plus court de la balance et fait basculer la plaque autour de son axe sur un angle très faible. Ce petit déplacement suffit pour agir sur l'interrupteur d'un circuit électrique. Le segment le plus long de la planche à bascule est entaillé par une crémaillère qui permet le placement d'une charge à des distances bien définies de l'axe de bascule. Lorsque la force d'appui de la main descend en dessous du seuil ainsi déterminé, la plaque reprend sa place sur le support stable, sous l'effet de la pesanteur et agit sur l'interrupteur du circuit électrique commandant le signal audiovisuel qui est ainsi délivré à chaque erreur. Le dispositif est fiable, robuste, facile à programmer par le patient lui-même. La gamme des forces utiles s'échelonne de 300 grammes à 10 kg environ, par degré de 100 g. b) Contrôle et gestion. En plus de cette tâche purement sensorimotrice, notre patient (qui en a la capacité), reçoit aussi une tâche plus cognitive: Il doit se fixer un projet, et programmer lui-même les paramètres d'une séries de tentatives. Par exemple, il se proposera de lancer8 fois la balle, avec un seuil fixé à 3 kg, et sans faire plus d'une faute d'appui. Ensuite, par degrés, il devra se fixer une progression, en faisant croître le nombre de lancers de balle, où en augmentant le poids attaché à la plaque basculante, ou, plus aisément, en éloignant le contrepoids de l'axe de la bascule par déplacement le long de la crémaillère. Il devra ensuite, après chacune de ses tentative, enregistrer le nombre de ses lancers de balle, et mémoriser le nombre d'erreurs d'appui qu'il a commises au cours de la dernière tentative (de 0 à 3 bips du signal d'erreur). Le temps de repos entre chaque tentative est consacré à l'inscription des résultats sur une feuille quadrillée à double entrée. Il peut ainsi conserver une trace précise de la charge d'appui, du nombre de lancers de balle et du nombre d'erreurs. Ce contrôle et cette transcription des résultats sont confiés, au malade lui-même.. Lorsqu'un patient est observé à ses premières tentatives, il n'est pas possible de faire des hypothèses pertinentes sur ses résultats futurs. On doit surtout, à ce stade, encourager le patient, en l'aidant à ne pas être stressé par ses échecs. On lui donne aussi des conseils de base pour éviter les erreurs résultant d'une mauvaise compréhension de la tâche. Cette période de familiarisation franchie, on tente de susciter chez le patient un projet d'action précis qu'il va tenter de mener à bien. Mais plutôt que de le laisser totalement libre de fixer son programme, ce qui entraînerait une probabilité d'erreur, tant par excès que par défaut de "prise de risque" , on lui propose une règle de progression qui proportionne le programme de chaque tentative à la performance réalisée dans la tentative précédente. On peut ainsi corriger une erreur d'appréciation initiale en modulant la difficulté des tentatives successives en fonction de la valeur des performances effectivement réalisées c) Programmation. Le patient a devant lui un tableau à double entrée dont chaque case représente l'une des combinaisons possibles entre une certaine valeur d'appui et un nombre déterminé de lancers de balle. On retrouve en ligne verticale les 20 crans de la crémaillère de la planche à bascule, et en horizontale les nombres de lancers de balle, dont le patient détermine à l'avance la progression. Par exemple, le patient a choisi de commencer sa séance à la case marquée d'une croix qui correspond à 15 lancers, avec le contrepoids placé au cran 6 de la crémaillère. Le patient tente alors de maintenir ce niveau d'appui sans défaillance, tout en réalisant les 15 lancers. S'il réalise un "sans faute", la programmation de l'essai suivant obéit à une certaine règle : progrès de 2 degrés par rapport au point de départ, ou bien verticalement, ce qui impose une augmentation de la force d'appui, ou bien horizontalement, ce qui impose une augmentation du nombre de lancers de balle, ou bien encore diagonalement, ce qui impose une combinaison des deux progressions. Le patient se trouve donc devant une large plage de choix possibles, entre des activités d'appui "en force", d'une durée relativement brève (petit nombre de lancers de balle), et des appuis plus légers, appelés à subir plus longuement la compétition avec de longues séries de lancers de balle Chaque séance d'entrainement donne ainsi naissance à une feuille de résultats très riche d'enseignement, pour le patient et pour le rééducateur. Celui-ci examine avec son patient le déroulement des faits, et l'interroge sur les incidents survenus, en se guidant sur les précisions indiquées sur le tableau: (le nombre de fautes est chaque fois inscrit dans la case correspondante). On notera que le patient ne peut jamais jouer deux fois de suite dans la même case. On l'incite au contraire à faire l'expérience d'un nombre maximum de combinaisons de forces et de lancers. Enregistrement des résultats: On attribue une note globale à chaque séance en appliquant la formule suivante : M = somme des N essais d'une séance, dont chacun vaut m= F multiplié par (n moins e), ou" F est la force d'appui du MSHP, n le nombre de lancers de balle par la main saine, e le nombre d'erreurs d'appui (lâchers corrigés de l'appui) , N le nombre total d'essais. La note M ainsi obtenue fournit une certaine indication quantitative sur le niveau moyen de performance au cours d'une séance. d) Stratégies d'action. Bien que très simple en apparence, la tâche d'appui définie dans notre dispositif peut être réalisée selon au moins deux stratégies différentes: la force d'appui de la main est en effet contrôlée par un dispositif de feed back qui fonctionne en tout ou rien : un signal d'erreur est transmis au patient lorsque la force de l'appui devient inférieure à un certain seuil. En revanche, aucun signal d'erreur ne lui est fourni lorsque la pression sur la table à bascule est exagérément forte. Dès lors, le patient peut, consciemment ou non, mettre en jeu une pression largement supérieure au seuil, ce qui parait le placer plus sûrement à l'abri des erreurs, mais en l'exposant à une fatigue plus précoce. A l'inverse, une pression d'intensité proche du seuil d'erreur permet au patient d'économiser ses forces, mais semble l'exposer à des erreurs plus fréquentes. Les deux stratégies diffèrent également au plan subjectif : le travail à une intensité proche du seuil d'erreur est ressenti comme moins fatigant, mais exige plus d'attention orientée vers les sensations provenant de la main en contact avec la plaque. 5 ENTRAINEMENT A LONG TERME. Nous présentons ailleurs les courbes de progression réalisées par le patient Baret.. au cours d'une rééducation après lésion hémisphérique gauche. Il s'agit d'une hémiparésie droite, chez un patient droitier, séquelle d'une lésion cérébrale remontant à 11 mois avant le début de la cession rééducative. Au moment où le réentrainement est commencé, le patient présente une parésie modérée du membre supérieur droit , sans troubles de la sensibilité, sans spasticité localisée. Il présente des ébauches franches de récupération spontanée de l'ouverture de la main, ainsi que des gestes élémentaires du membre supérieur, tableau que nous avions coutume de décrire comme "hémiplégie fruste". L'entrainement du patient se déroulait en deux séances d'environ trois quarts d'heure chacune, à raison de 5 jours par semaine. La séance du matin fut choisie par le patient pour une progression en nombre de lancers de balle par la main gauche, avec des appuis relativement légers de la main droite, alors que la séance d'après-midi progressait plutôt par séries de lancers courtes à la main gauche, avec des pressions progressivement plus lourdes de la main droite. Le travail fut mené pendant plusieurs semaines avec beaucoup d'attention et de réflexion de la part d’un patient remarquablement motivé. Quelques commentaires recueillis au jour le jour en donneront une idée. NOTES JOURNALIERES Période 1, du 10 Décembre au 21 Janvier. Dans cette première période, le patient se familiarise avec le matériel et découvre ses possibilités. $A) 10.12.1979 Il interprète ses erreurs. Le plus souvent, il s'agit d'une ébauche de mouvement réalisée par la main droite, (MSHP() pour rattraper la balle, lorsque la main gauche vient de la manquer: il s'agit d'un Geste automatique de la main droite, dominante, qui vient suppléer à la déficience de la main gauche. Il doit faire effort pour empêcher sa main droite de relâcher l'appui pour se porter à la rescousse de l'autre main. La balle étant manquée, il tend spontanément à saisir le fil de la main gauche, et à reprendre à l'aide de la main droite la balle qui s'y balance . Contraint par la tâche, il apprend ensuite à faire glisser le fil sur la main gauche en la remontant jusqu'à la balle, tout en s'efforçant de ne pas interrompre la pression de la main droite sur la plaque. Autre facteur d'erreur, un certain manque de concentration à la fin d'une longue série de lancers de balle, ou lorsqu'il se produit un bruit inattendu dans la salle de travail. Avant même de commencer une série, il "sait" si "cela va bien aller". Dès le début de l'appui, il "sait" si l'effort du MSHP a été bien établi. Dans certains essais, il manque de "désir de commander" la main droite qui pourtant fait le geste d'appui. Il n'est "pas très présent à son geste", il "est ailleurs". Dans ces cas, il est aussi moins habile de la main gauche pour lancer et rattraper la balle. En cours d'essai, il peut rétablir un appui défectueux, en changeant un peu la position de sa main droite sur la plaque. Auto Organisation de la tâche. Le patient décide de travailler de la manière suivante: le matin une "série légère", en progressant en nombre de lancers de balle, et l'après-midi une série plus "lourde", progressant en force d'appui, mais durant un plus petit nombre de lancers de balle. Dans les essais comportant un grand nombre de lancers, les erreurs d'appui ont lieu en milieu d'essai, et non vers la fin de l'essai comme c'est le cas dans les séries plus lourdes. Il explique qu'il "essaye d'appuyer moins fort", de manière à économiser sa force, et donc pouvoir tenir plus long temps. Certaines erreurs viennent de ce changement de stratégie.. La semaine précédente, il appuyait avec une marge d'excès de force importante. Il pense que pour cette raison il "fatiguait plus" en fin de série de lancers. Dans les séries courtes avec appui fort, les erreurs d'appui sont commises uniquement en fin de série et non au milieu comme dans les séries légère. Il attribue ces progrès à l'économie de ses forces au début des séries, puisqu'il a réussi à ne plus surdoser l'appui. $B) 18.12.1979 matin, série légère. Il soigne la qualité de l'appui et économise sa force. Sa main est trop humide. Il s'est déconcentré et a abandonné prématurément son travail. $C) 19.12.1979 Le matin, Il a cherché à réduire les erreurs en appuyant un peu "trop fort", moins "près de la limite de bascule" de la plaque. Il travaille toujours "à l'économie", mais avec un peu plus de marge de sécurité. Il décide aussi de réduire le temps de repos entre chaque essai. Les erreurs augmentent en fonction de la fatigue. Cette nouvelle stratégie lui permet de réaliser 5 essais successifs sans erreur. Après-midi, série lourde ; il prend un peu plus de repos entre chaque essai Il affine le dosage de l'appui du MSHP sur la plaque, cherche à économiser ses forces. Au dernier essai, il appuie un peu plus fort pour tenter un "sans-faute". Il signale que les distractions provenant de l'environnement sont moins gênantes qu'au début. Mais certains essais sont très mauvais, avec de nombreuses erreurs d'appui. Dans ce cas, le patient n'est pas capable de réappuyer et de finir la série de lancers qu'il avait programmée au début de l'essai: Sa commande d'appui du MSHP parait déstructurée. $D) 20.12.1979 Le matin, série légère. Dès le départ, le patient se sent beaucoup moins fatigué que la veille. Il fait très peu d'erreurs, se repose très peu entre chaque essai, réalise la séance complète presque d'une traite, en 20 minutes. Il modère ses ambitions en nombre de lancers de balle. L'après-midi, série lourde, nouveau record. Il remarque qu'il fait aussi "des progrès à la marche", se sent moins fatigué. Il travaille toujours à l'économie, mais fait moins d'erreurs que la semaine précédente. Il a réussi à se baisser pour ramasser(main gauche) la balle au sol sans interrompre l'appui(main droite) sur la plaque. Désormais, il se fixe cela comme tâche: Il devra continuer à appuyer sur la plaque, même s'il est contraint de changer totalement la position du tronc et de l'épaule droite. Ce jour, les erreurs sont provoquées, non par des balles manquées, mais par un excès de sous-dosage de l'appui sur la plaque, (le patient est à la recherche de l'économie maximum de force). Le patient fait remarquer que cet entrainement avec feed-back lui permet de se rendre compte de ses progrès. On observe que le patient réutilise consciemment tout ce qu'il découvre par hasard. Il nous propose aussi des modifications de l'appareil: On pourrait fournir au patient un signal lumineux lorsque la pression descend trop près de la limite d'erreur". $E) 21.12.1979 Le matin, série légère. Pour des raisons extérieures, le patient est obligé d'aller vite, et de travailler dans une ambiance bruyante. Afin d'expédier rapidement sa besogne, il se donne un programme de progression très directe, fait très peu d'erreurs, se repose peu. Après-midi, série lourde. Il s'est donné comme objectif d'atteindre la case finale(la plus en haut et à droite de la grille de résultats) par une ligne de progression diagonale directe. Il établit alors son record absolu. Par ailleurs, il signale une amélioration de son état général, des progrès à la marche. Il "commande mieux son pied". Il a plus confiance en ses possibilités. En début de séance, il "savait d'avance" qu'il allait bien réussir. "C'est plus franc comme mouvement". On observe effectivement qu'il gagne en vitesse d'établissement de sa force d'appui: le signal d'erreur ne se déclenche plus en début et en fin d'essai, comme lorsque la main tarde un peu à agir ou stopper franchement. Ici, intervient une reprise d'activité au terme d'une interruption du traitement durant quelques jours pour les fêtes. , le patient appréhende la reprise et craint une régression de ses performances. Il nous dit qu'il va chercher à "assurer" pour éviter les erreurs (surdosage de la force de pression, le patient se donne une plus grande marge de sécurité au dessus du seuil d’erreur). L'une des erreurs est causée par "un coup de canne fortuit"! d'un autre patient. Il nous dit: "La semaine passée je me serait déconcentré et n'aurait pas réussi à finir l'essai". Il fait alors deux erreurs par ratage de balle, il pense que ce n'est pas par hasard, mais en raison du transfert d'attention vers sa main droite pour "doser plus finement" l'appui. En fin de séance, le patient est déconcentré par le départ des autres patients. $F) 8.janv Série légère le matin. Le patient cherche à faire une progression diagonale la plus directe possible sans "assurer trop fort", (il ne surdose pas trop sa force d’appui). Il cherche à combiner toutes les astuces découvertes précédemment pour augmenter l'efficacité globale des séries. Il "assure moins" que la veille. Il fait plus attention à la main droite, au point qu'il lui arrive de sentir la plaque bouger, et de parvenir à corriger ce début d'erreur par un surcroît d'appui, sans provoquer le déclenchement du signal. mais ce transfert de l'attention à la finesse d'appui à droite lui "fait perdre" son habileté de la main gauche. Il se souvient qu'au début de cet entraînement il a éprouvé beaucoup de difficulté à apprendre les lancers de balle de la main gauche. Ce jour, il a commencé son travail à un cran plus haut que la veille ; cela fait une différence probablement trop faible pour qu'il puisse l'apprécier ; mais c'est pourtant un progrès. Série lourde l'après-midi. Il "pressent" que l'appui sur le MSHP ne sera pas très bon avant même d'avoir commencé à appuyer. Il fait 4 erreurs, et n'en est pas surpris. Il refait une tentative après un court repos et réalise un "sans faute". Il a été dérangé par un défaut du matériel, puis par un autre patient .. Enfin, il s'est senti fatigué. Il est contrarié, exprime un sentiment d'échec. "Il aurait fait beaucoup mieux s'il n'avait pas été dérangé". Cependant, il remarque ses progrès par rapport aux semaines précédentes. $G) 9.janv Le matin, série légère. Le patient note qu'il a bien dormi. Lorsqu'il dort mal, c'est la main gauche qui lance la balle qui est la plus perturbée. Ce jour, il ne fait qu'une seule erreur de récupération de la balle. Ses erreurs d'appui sont dues à la recherche d'un " travail très léger, à l'"économie". L'après-midi, série lourde. Il a cherché avant tout à éviter les erreurs en "assurant" par un léger excès de l'appui. Petit nombre d'erreurs de lancers de balle. $H) 10.janv Le matin, série légère. Le patient décide de combiner la recherche de "sécurité" et l'"économie de force". Il réalise pour la première fois dix essais sans faute d'appui, et aucune erreur de balle. Il attribue ses progrès à une meilleure habileté de la main gauche, mais aussi a l'aptitude à "se concentrer" malgré les distractions environnantes. Il décrit une petite phase de préparation avant chaque série : il détend ses jambes, se frotte la main droite sur le genou, pour "effacer la crispation" du travail d'appui. Il surveille du regard la main droite, vers le quarantième lancer de balle, dans une série de cinquante. Il "est certain" que le fait de regarder "améliore" son contrôle. Il doit, lorsqu'il parvient à ce point de la série de lancers, renouveler (à nouveaux frais) sa commande d'appui sur la plaque, par un effort analogue à celui mis en jeu au début de chaque essai. Rétrospectivement, il observe qu'au début de cet entraînement, il devait "recommander " ainsi la poussée d'appui de 2 à 4 fois au cours de 25 lancers de balle. Il nous fait remarquer que sa main droite doit "être constamment commandée", alors que sa main gauche se meut "d'elle-même" . c'est "cela qui fatigue". $I) 11.janv Il a voulu terminer en beauté ... Depuis le début de la semaine, il a modifié sa position de travail: tronc plus incliné en avant, coude droit un peu plus fléchi, main gauche rattrapant les balles plus près du sol. En raison du manque de temps, Il a cherché à "assurer" un peu plus que la veille, mais "sans forcer" ... Après-midi, série lourde. La progression la plus directe qu'il ait jamais réalisée. Aucune erreur. Il a cherché "à dépasser" le nombre de lancers de balles normalement programmé, soit 62 au lieu de 50 prévues: Après 40 lancers, il a dû recommander sa poussée d'appui, et "assurer" un peu plus fortement. Il "était à bout de souffle" en fin de série. $J) 14.janv Matin, série légère. Le patient décide de charger la crémaillère à 5 kg. Au cours des trois premiers essais, il "assure en appuyant un peu trop fort" . Ensuite, il ajuste plus finement son effort d'appui. Il note plus de fatigue que la semaine précédente durant laquelle il travaillait contre une charge de 3 kg. Il s'agit donc d'un important progrès en intensité qui ne l'empêche pas de travailler sans trop d'effort ni crispation de la main. Il ressent nettement la fatigue , mais il pense qu'il va s'adapter en quelques jours. $K) 16.janv Le matin, série légère. Progression plus régulière que lundi 14. Après-midi, série lourde. Il éprouve une gène respiratoire, et de la fatigue. Commet des erreurs en fin d'essai, sensation de fatigue vers le quarantième lancer. $L) 17.janv On utilise une Balle plus grosse, plus facile à rattraper. Il pense avoir eu raison d'élever le niveau de charge de lestage de la crémaillère, puisqu'il continue à progresser. En cas d'échec, il aurait opté pour un retour en arrière, (aucun entêtement) . Son idée était de démarrer d'emblée à un niveau auquel, les semaines précédentes, il parvenait seulement après une dizaine d'essais, donc en ayant accumulé une certaine fatigue. Ainsi, il s'attaquerait à un niveau supérieur de force d'appui, sans le handicap de cette fatigue. $M) 18 au 21.janv Le patient pense qu'il est très important de travailler alternativement en série légère et série lourde. Le travail léger oblige à plus de finesse, économie de la force. C'est "plus intéressant". Le fait d'"assurer moins entraîne plus d'erreurs, mais c'est plus intéressant". On peut facilement faire un sans-faute en augmentant la force d'appui du mshp largement au dessus du seuil d'erreur, ce qui ne signifie pas qu'on a fait un progrès. Le patient suggère à nouveau une amélioration du dispositif de feed back : on devrait établir un signal d'excès d’intensité de l'appui, et pas seulement une borne inférieure d’intensité. Il essaie de travailler en appui sur le bout des doigts, et pas seulement sur la Paume de la main. $Discussion. Un coup d'œil sur les courbes de progression de notre patient montre à l'évidence d'importants gains quantitatifs au cours du temps, aussi bien en valeur absolue qu'en régularité des performances. Toutefois, la clarté apparente de cette succession de chiffres ne peut dissimuler la multiplicité des phénomènes sous-jacents. Les commentaires journaliers dont nous n'avons pratiquement pas changé les termes montrent que le patient a réalisé jour après jour un travail sensorimoteur et un effort de réflexion critique étroitement interdépendants. Il est dès lors parfaitement clair que la performance réalisée chaque jour est liée tout autant aux aptitudes sensori-motrices et cognitives supposée du patient qu'à l'évolution de son niveau d'aspiration, qui se traduit dans telle ou telle décision de programme. En ce qui concerne la réalisation d'un bilan des aptitudes bimanuelles de l'hémiplégique, on peut dire que nous avons à la fois échoué et réussi au-delà de ce que nous espérions: échoué, puisqu'il ne nous est pas possible de tirer de cette expérience un protocole simple et fiable d'évaluation des hémiplégiques. L'extrême variabilité des résultats au début de l'entrainement nous impose, avant de tirer toute conclusion, une assez longue séquence de familiarisation et d'exploration de la tâche elle-même. L'intrication des facteurs motivationnels et cognitifs et des facteurs plus proprement sensorimoteurs suggère pour le moins qu'une tâche, pourtant relativement simple en apparence, peut être vécue d'une manière très différente d'un patient à l'autre, ou même, chez le même patient, d'un instant à l'autre. Dès lors, quelle valeur donner aux chiffres bruts de l'efficacité obtenue au terme d'une courte séance à un moment donné de l'histoire d'un patient. Il est clair, pensons nous, qu'un tel bilan ne peut se concevoir que si le patient s'entraîne régulièrement sur le même matériel, de sorte qu'on puisse mesurer l’efficience de pointe du patient, et sa régularité, et non pas l'un quelconque des niveaux d'efficience que l'aléa des facteurs en cause détermine. Placer une personne dans une situation d'entraînement rigoureuse, en face d'un matériel d'une précision implacable, mais qui en revanche renvoie fidèlement l'information utile, est une démarche non pas réductrice, mais au contraire enrichissante. La relation thérapeutique entre patient et rééducateur se meuble en effet d'une foule d'informations très fines sur les aspects objectifs et subjectifs de l'acte moteur. Il reviendra donc au rééducateur de réutiliser cette nouvelle expérience clinique pour conseiller d'autres patients et imaginer de nouvelles situations d'entraînement On se bornera à trois remarques : 1) L'apprentissage thérapeutique ne s'est pas limité à une amélioration du MSHP en tant qu'organe déterminé, mais s'est clairement placé dans l'interface entre les activités des deux membres supérieurs. 2) L'acquisition d'habileté a opéré dans le cadre d'une "relatéralisation", dans la mesure où les fonctions "statiques, de conservation posturale, "érismatiques" au sens de Massion 1992, ont été confiées au MSHP, ici le bras droit, tandis que l'activité fine et rapide, "téléologique" au sens de MASSION, était confiée à la main gauche. 3) Le rééducateur a très rapidement été placé devant une créativité riche de la part d'un patient qui faisait preuve d'une singulière motivation, et d'une extraordinaire capacité de capitalisation des progrès stratégiques. A l'évidence, la situation d'entrainement a fonctionné comme révélateur de cette créativité, ce qui ouvre des horizons sur le concept même de réentrainement de certains MSHP gravement atteints, mais aussi visant certains patients porteurs de handicaps moyens ou plus légers. André ALBERT , 2010.